Le groupe public entend présenter en septembre 2016, un an après l’entrée en fonction de Mme Ernotte et quelques mois avant la présidentielle, une offre totalement renouvelée. | MARTIN BUREAU / AFP

C’est un moment de vérité pour Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, son directeur de l’information, Michel Field, et leurs ambitions réformatrices. En ce début de printemps, l’entreprise publique est lancée dans une refonte profonde de son secteur de l’information. L’objectif ? Présenter en septembre 2016, un an après l’entrée en fonction de Mme Ernotte et quelques mois avant la présidentielle, une offre totalement renouvelée : chaîne info en continu, nouvelle émission politique, nouveaux magazines d’information…

Tout entière tournée vers cet objectif, la direction avance avec détermination, soucieuse de montrer qu’elle peut mettre en mouvement les rédactions sans s’engluer dans les habituelles pesanteurs de l’entreprise publique. Cette méthode a un prix : le risque d’un divorce avec les journalistes, dont certains se sentent heurtés par un management qui ne prend pas de gants. « Aujourd’hui, au siège, tout le monde a une bonne raison de s’inquiéter », constate Serge Cimino, délégué du Syndicat national des journalistes (SNJ). C’est dans ce contexte que les syndicats de France Télévisions ont appelé à la grève, jeudi 7 avril, contre le projet de fusion des rédactions France 2, France 3 et numérique, qui se met en place de fait avec le chantier de la chaîne d’info publique.

Poussée de fièvre

En l’état, les rédactions de l’entreprise publique donnent l’image d’un vaste chantier, où tous les fronts sont simultanément ouverts, générant leur lot d’inquiétudes et de poussées de fièvre. La dernière scène s’est jouée mardi 5 avril, autour du sort du magazine « Envoyé spécial » et de ses présentatrices depuis seize ans, Guilaine Chenu et Françoise Joly.

En milieu de journée, alors que court la rumeur d’un possible arrêt de l’émission, celles-ci relatent à leur équipe le rendez-vous qu’elles viennent d’avoir avec Michel Field et expliquent qu’aucune décision n’est prise sur l’avenir du magazine. A la mi-journée, L’Express annonce l’arrêt d’« Envoyé spécial ». Dans l’après-midi, M. Field revoit les deux journalistes pour leur expliquer qu’il acte leur départ. En soirée, France Télévisions envoie un communiqué où elle annonce vouloir « pérenniser » « Envoyé spécial » et « Complément d’enquête », tout en confiant leur refonte et leur présentation à une autre journaliste, Elise Lucet.

« Quelle confiance désormais pouvons-nous avoir en ses déclarations ? » demande la Société des journalistes de France 2

Contactées, Mmes Chenu et Joly disent comprendre la décision de Michel Field, mais regrettent que, « dans les derniers jours et les dernières heures, les choses se soient un peu précipitées ». Moins diplomate, la Société des journalistes de France 2 ne s’est pas privée de relever le changement de pied du directeur de l’information, dans un communiqué diffusé mardi soir : « Quelle confiance désormais pouvons-nous avoir en ses déclarations ? »

Le pataquès rappelle la façon dont a été géré l’arrêt de l’émission politique « Des paroles et des actes ». Le 14 mars, Michel Field avait révélé l’information lors d’un passage à la radio, chez Jean-Marc Morandini, surprenant et choquant des journalistes de la rédaction.

En interne, certains dénoncent « des méthodes d’une brutalité inouïe ». Un ancien de la maison regrette un « fonctionnement assez bunkerisé » de la direction et dit ressentir « une méfiance sur les gens d’avant l’arrivée de la nouvelle équipe ». « Il y a une ambiance malsaine, décrit un journaliste. Le message ressenti, c’est : “Si vous n’êtes pas contents, on ne vous retient pas.” » Un autre nuance : « La volonté de rénover est tout à fait légitime de la part d’une nouvelle présidente, mais on ne traite pas les gens comme cela. »

Le sentiment d’un manque de reconnaissance affleure, notamment dans le débat sur le nom de la future chaîne d’information publique

A la direction de l’information, on assume la volonté de renouveler largement l’offre d’information, tout en se défendant de tout jugement négatif envers les équipes et les productions en place.

C’est pourtant bien le sentiment d’un manque de reconnaissance qui affleure, notamment dans le débat sur le nom de la future chaîne d’information publique. Le week-end dernier, les journalistes du siège ont voté pour manifester leur opposition au choix du nom « France Info », qui fait figure d’hypothèse privilégiée. Seuls 287 journalistes ont voté sur 627 inscrits, mais à 94 % ils ont rejeté ce nom, perçu comme générateur de confusion avec la radio. Mais pour un journaliste, « la crispation sur le nom n’est qu’un symptôme des problèmes dans la relation à la rédaction ».

Celle-ci est à peine à l’orée d’un processus de fusion interne qu’elle doit se projeter dans la perspective d’une relation de travail nouvelle avec les équipes de Radio France et des autres entités de l’audiovisuel public, désormais « partenaires » du projet de nouvelle chaîne d’information.

Ces multiples évolutions ont aussi leur traduction spatiale : le week-end prochain ont lieu des déménagements de bureaux liés à la première phase du projet de fusion des rédactions « Info 2015 » : les journalistes « économie et société » issus de France 2 et France 3 vont être regroupés, tout comme des rédacteurs « culture », qui doivent rejoindre sous peu l’équipe de Culturebox.

Jeudi 7 avril, quatre syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGT, SNJ) ont appelé à la grève contre « Info 2015 »

Lancé par l’équipe de direction précédente, ce projet vise à constituer une seule rédaction nationale, tout en conservant les différences éditoriales entre France 2, France 3 et Francetv Info. Il continue de susciter une opposition interne : jeudi 7 avril, quatre syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGT, SNJ) ont appelé à la grève contre « Info 2015 ». Cette journée permettra de mesurer si les équipes demeurent hostiles à ce projet, ou si elles le jugent désormais inéluctable.

En effet, le lancement prochain de la future chaîne d’information publique, annoncée pour le 1er septembre, constitue un puissant accélérateur de cette fusion, par-delà les cycles de négociation entre direction et syndicats. « Les deux projets s’interpénètrent, cela engendre une vraie confusion », déplore Serge Cimino. « En acceptant le projet de chaîne d’information publique, on accepte de fait Info 2015 », reconnaît Eric Vial, délégué syndical central Force ouvrière, qui n’est pas opposé à la fusion.

Echange direct avec le président de la République

L’organisation précise de la chaîne d’information n’est pas connue : des éléments doivent être communiqués lors de comités d’entreprise prévus, jeudi et vendredi, à France Télévisions comme à Radio France, les deux principaux partenaires du projet. Mais dans sa philosophie, le projet suppose que les journalistes concernés œuvrent sous un label unique.

Un dernier motif d’interrogation traverse les rédactions : le contenu de l’émission prévue le 14 avril avec François Hollande. Intitulée « Dialogues citoyens », l’émission pourrait être une préfiguration du nouveau rendez-vous politique de France Télévisions. Le 29 mars, celle-ci a expliqué que, dans cette émission, des citoyens auraient « un échange direct » avec le président de la République.

Un journaliste regrette que celle-ci soit préparée sans vraiment associer la rédaction et rappelle que les présidents souhaitent souvent, en fin de mandat, être mis en scène face aux Français. A la direction de l’information, on espère toutefois que ce rendez-vous soit un premier signe du renouvellement du traitement de la politique.