Des habitants de Mamoudzou, à Mayotte, réunis le 12 avril devant la mosquée du quartier de Mtsapere, réclament la fin des violences en marge de la grève générale. | ORNELLA LAMBERTI / AFP

Après quinze jours de « grève générale » — principalement effective dans le secteur public mais accompagnée de barrages sur une vingtaine de carrefours routiers stratégiques, ce qui a suffi à paralyser une grande partie de l’activité de l’île de Mayotte —, une voie de sortie était sur le point de se dessiner. Vendredi 15 avril, les représentants de l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, Solidaires, FSU et FAEN) ont été reçus au ministère des outre-mer, à Paris, par la ministre, George Pau-Langevin. À l’issue de quatre heures de négociation, ils ont signé un relevé de conclusions dont ils considèrent qu’il représente de « réelles avancées ».

Après 16 heures de voyage retour — il n’existe toujours pas de ligne aérienne directe Paris-Mamoudzou, celle-ci devrait être inaugurée le 10 juin —, les dirigeants syndicaux sont arrivés au col de Chirongui, où quelque 200 militants et les « mamas », ces mères qui jouent un rôle si important dans la société matriarcale mahoraise, les attendaient… non pour entendre le compte rendu des discussions, dont ils avaient déjà pris connaissance, mais pour décider de la prolongation de la grève.

Assemblée générale sous tension

Dès les premières prises de parole de leurs représentants, le ton s’est tendu. « Le texte, on l’a lu, intervenait un opposant. Vous arrêtez le bla-bla. Vous proposez quoi ? Il ne faut pas écouter ces personnes. Nous, ce qu’on veut, c’est aujourd’hui sinon rien et, demain, on va abattre des arbres. On n’est pas d’accord que vous ayez signé. C’est nous la base, on veut du concret. » Une intervention saluée par des acclamations, des applaudissements et des chants en mahorais.

S’ensuivaient de longs moments de palabres, par petits groupes. Même si, dans un premier temps, les partisans de la continuation de la grève semblaient être majoritaires, on a continué, longtemps, à discuter, la tradition mahoraise voulant que, au final, les décisions soient prises à l’unanimité, et non à la majorité. Et, petit à petit, le consensus a commencé à se former pour une « suspension » du mouvement à partir de lundi, tout en faisant passer le message au ministère, à l’Etat, qu’un geste significatif était attendu, au risque de voir la situation empirer. « Si le gouvernement ne fait pas un geste, on va vers la guerre civile, n’hésite pas à pronostiquer le négociateur de la FSU. Si le mouvement continue, il devient incontrôlable. Ils risquent de mettre le feu à l’île. »

Code du travail et fonction publique

Que contient cet accord tant décrié par la base du mouvement mahorais ? Premièrement, en ce qui concerne l’application à Mayotte, devenue département français en 2011, du code du travail de droit commun, elle devrait être inscrite dans la loi pour être entré en vigueur au 1er janvier 2018 et une habilitation à prendre des ordonnances pour y parvenir devrait être votée. Le gouvernement s’engage également à ce que les conventions collectives de métropole s’appliquent automatiquement et intégralement à Mayotte et que ce soit inscrit dans la loi.

Un autre point majeur était celui de la reconstitution des carrières des agents travaillant dans la fonction publique avant la départementalisation. Pour l’Etat français, ces agents ne deviennent en principe salariés de la fonction publique qu’au moment de la départementalisation, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes de carrière et de retraite. Jusque-là, le gouvernement avait posé un verrou : il ne consentait à examiner les situations antérieures que jusqu’à l’année 2009. Le gouvernement a consenti à rouvrir des discussions à partir du mois de mai sur la reconstitution des carrières pour les années antérieures à 2009. Sans pour autant dire jusqu’où il pensait pouvoir aller. En tout cas, aux yeux de l’intersyndicale, « le verrou de 2009 a sauté, nous avons mis le pied dans la porte ».

Sur les autres points, concernant l’attractivité de la fonction publique à Mayotte ou l’alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole, les « avancées » restent beaucoup plus conditionnelles.

Alors que la nuit était tombée, l’« unanimisme » s’est fait pour décider de suspendre le mouvement. Parce que chacun sent bien, aussi, que dans le contexte de tension que connaît l’île, la moindre étincelle peut suffire à l’embraser. Vendredi soir, vers 19 heures, un « mzoungou » - un blanc - a été assassiné par trois jeunes - d’après les premières constatations - alors qu’il allait chercher avec sa compagne leur fils au judo, à Kaweni, un quartier nord de Mamoudzou, le chef-lieu du département. Samedi matin, une marche blanche a réuni de 500 à 600 personnes à Kaweni ; Puis les médiateurs, les responsables associatifs et les « mamas » se sont réunis longuement pour essayer d’apaiser une situation explosive. Un appel à une « île morte » a été lancé pour mardi.