Atmosphère dans le camp de fortune où une centaine de réfugiés se sont installés boulevard de la Villette dans le 19e arrondissement, sous le métro Stalingrad, à Paris, France, le 18 mars 2016. | RAFAEL YAGHOBZADEH / HANSLUCAS POUR "LE MONDE"

Chaque soir, c’est une autre bataille de Stalingrad qui se joue. A la station de métro du même nom, dans le 19e arrondissement de Paris, près de quatre cents migrants défendent leur carré de bitume. Un espace où les plus chanceux ont posé un matelas, les autres des pièces de cartons. Là, ils luttent contre le froid, la faim et la dispersion. « Si tu veux avoir droit à un hébergement un jour, il faut exister. Et pour cela, il faut faire un camp, puis le tenir quelque temps sans se laisser disperser », explique celui qu’on appelle Nikita, un des soutiens du lieu. Dans la « ville refuge » que voudrait être Paris, c’est la règle en ce mois de mars 2016.

Le campement de Stalingrad a déjà été évacué une première fois le 7 mars. 393 personnes ont été emmenées vers un hébergement, certes, mais beaucoup d’autres, qui disent avoir raté les bus, sont revenues dormir sur les lieux. En dépit des tentatives policières de ne pas les laisser se réinstaller, le camp a très vite regrossi pour atteindre à nouveau 400 personnes cette fin de semaine. Aux Afghans de la gare de l’Est, qui se sont rapatriés là, au milieu de Somaliens, d’Érythréens, de Soudanais, sont venus se joindre des expulsés du Calaisis.

Ali en fait partie. Depuis une semaine, le jeune Érythréen est devenu « Parisien », après deux mois à Calais, dans une cabane. « Mon abri a été détruit. Il était dans la zone évacuée de la jungle. Comme je n’avais plus rien, j’ai pris le train et je suis venu ici », raconte le jeune homme, qui penche finalement pour demander l’asile en France et devrait le faire depuis Paris.

Ali n’est pas un cas isolé. Virginie, du BAAM, le Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des migrants en a « vu arriver un bon nombre comme lui… dont beaucoup de mineurs », ajoute la bénévole dont l’organisation a mis en place une permanence juridique à la mairie du 4e arrondissement, des cours de Français et un suivi des réfugiés.

Cette association est la version la plus structurée des groupes de soutiens qui accompagnent les migrants de la capitale sur leurs lieux successifs de campement depuis l’été 2015. Un groupe de citoyens qui mettent leurs compétences et leur aide matérielle au service des exilés. Une pétition circule, qui demande aux élus de gauche de la ville, de prendre position. D’autres citoyens, toujours organisés en collectifs, et beaucoup de simples citoyens sont aussi très présents. Ils observent au quotidien l’interdiction faite par les policiers d’installer de toiles de tente et sont témoins des vaines tentatives de dispersion de ce campement à la sauvette, sans proposition d’hébergement. Virginie se lasse un peu « d’expliquer aux policiers qu’on ne peut pas désintégrer les migrants, et que la terre ne va pas s’ouvrir sous leurs pieds pour les rendre invisibles », mais elle et les autres ne lâchent pas. Comme une part des migrants qui a compris qu’une vraie expulsion, avec hébergement, ça se gagne. Ainsi, le 9 mars, les exilés du lieu auraient été renvoyés à leur isolement et à leur anonymat d’étrangers qui errent dans la ville, si les femmes africaines n’avaient fait rempart de leurs poussettes contre les policiers.

Des volontaires viennent régulièrement distribuer des repas. | RAFAEL YAGHOBZADEH / HANSLUCAS POUR "LE MONDE"

L’attente d’un hébergement durable

Depuis le 2 juin, la préfecture d’Ile-de-France a opéré 17 mises à l’abri de différents campements de la capitale. 5 470 propositions d’hébergement ont été faites et aujourd’hui 3 260 personnes seraient toujours dans un de ces lieux de répit, selon la préfecture de région. Le revers de la médaille est politique puisque des maires qui attendaient des Syriens en provenance des « hot spots » de Grèce ou d’Italie, qui voulaient participer à la grande opération européenne de solidarité, se retrouvent à accueillir les campements parisiens. Ce qui politiquement n’a pas le même impact ; et ce qui explique que la dispersion soit désormais à l’ordre du jour, par crainte d’hypothéquer trop d’adresses qui doivent servir dans les mois à venir aux 30 000 relocalisés.

Quand la nuit tombe sur ce quartier populaire du nord de la capitale, les femmes africaines sont les premières à se chercher le sommeil. Jeudi 17 mars, un groupe d’Érythréennes se glisse sous leurs couvertures calant entre plusieurs d’entre elles, un petit enfant. Chaudement emmitouflé, le bébé ferme déjà les yeux, bercé par le roulis du métro. « Le plus difficile, ici pour moi, c’est de dormir » soupire Arrap, en jetant un œil vers le petit dormeur. Cet Afghan qui dit avoir 19 ans -mais en semble beaucoup moins-, affiche des cernes qui rappellent que le trafic du métro n’est suspendu que quelques heures dans la nuit parisienne. A côté de lui, quelques-unes des femmes ont été hébergées, mais n’ont plus envie d’être ballottées de foyer en hôtel, une nuit par-ci, trois nuits par là. Elles attendent un hébergement qui ne serait plus d’« urgence », mais leur permettrait de se réinscrire sur le long terme. A côté d’elles, un groupe d’une dizaine de Somaliens, fraîchement débarqués en France, après avoir remonté toute l’Italie sans prise d’empreintes, cherchent des informations sur la procédure d’asile. Avant de se diriger vers la cocotte-minute pleine de soupe aux légumes qu’un riverain vient de déposer là, à même le sol, à côté d’une pile de gobelets en carton.

Evacué une première fois le 7 mars, le campement de Stalingrad a très vite regrossi pour atteindre à nouveau 400 personnes cette fin de semaine. | RAFAEL YAGHOBZADEH / HANSLUCAS POUR "LE MONDE"

Non loin, sous une large banderole demandant des papiers et un logement pour tous, l’association musulmane d’Alfortville déploie ses tables. Yakoub Sakhri, son président tient à sa distribution, prévue pour 250 personnes. « Nous venons une fois par semaine. D’autres apportent à manger ici d’autres soirs. Mais il est important qu’un repas chaud soit servi à ceux qui ne peuvent se déplacer vers la gare de l’Est », rappelle-t-il, en distribuant des bouteilles d’eau à ceux dont l’assiette fume.

Massoud ne mangera pas. Pour lui, c’est l’heure de la cigarette. Un petit plaisir du soir, avant de dormir. Ce réfugié afghan de 29 ans s’est greffé sur ce campement il y a deux semaines. « Je suis en France depuis deux ans. J’ai dû avoir un hébergement pendant quatre mois. Le reste du temps je l’ai passé dehors autour de la gare de l’Est. Aujourd’hui, je cherche un travail de carreleur, c’était mon métier en Afghanistan, mais je ne trouve pas. Pourtant mes papiers sont en règle puisque j’ai ma carte de réfugié pour dix ans. Je ne dirai pas à tous ces arrivants que c’est très dur et que même lorsqu’on a l’asile, la galère continue », se désole-t-il en balayant les matelas du regard. « Enfin, galère pour galère, ici, je ne risque pas ma vie », conclut-il en tirant plus fort sur sa cigarette.

La nuit est tombée sur Stalingrad. Les places où se garent d’habitude les véhicules de police sont libres ce soir. Mama Afrika, l’épicerie la plus proche, vend ses bières fraîches, ses jus de fruit et ses cigarettes à l’unité aussi. Une affaire qui marche.