Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et la chancelière allemande, Angela Merkel, le 4 février 2016 à Berlin. | Axel Schmidt / AP

Il est exceptionnel que l’Union chrétienne-démocrate (CDU) présidée par Angela Merkel se retrouve isolée et en difficulté au Bundestag. C’est pourtant ce qui s’est produit mercredi 27 avril à l’occasion d’un débat (sans vote) sur la liberté de la presse en Turquie. Un débat initié par les Verts.

Durant une heure, des représentants de Die Linke, la gauche radicale, des Verts mais aussi du Parti social-démocrate (SPD) ont dénoncé les atteintes au droit de l’homme en Turquie : les journalistes arrêtés, la presse bâillonnée, les poursuites actuellement enclenchées contre deux mille personnes pour offense au chef de l’Etat. Les ressortissants étrangers ne sont pas épargnés. Ces derniers jours, plusieurs journalistes étrangers ont été expulsés de Turquie ou se sont vu interdire d’y entrer.

Samedi 23 avril, au moment même où Angela Merkel visitait un camp de réfugiés dans le sud-est de la Turquie, l’Allemagne a découvert avec stupéfaction le dernier coup d’éclat d’Ankara en la matière. Son ambassadeur à Bruxelles a exigé que la Commission européenne cesse de cofinancer un concert sur le génocide arménien qui va être donné à la Philharmonie de Dresde. La Commission n’a pas obtempéré, mais a malgré tout retiré cette opération de ses sites Internet. Ce n’est pas la première fois que la Turquie s’attaque à la liberté d’expression en Allemagne.

Véritable affaire d’Etat

La plainte déposée mi-avril par le gouvernement turc contre Jan Böhmermann, un comédien qui avait insulté le président Recep Tayyip Erdogan sur une chaîne allemande, est devenue une véritable affaire d’Etat. Cette plainte n’était en effet recevable que si le gouvernement allemand la soutenait. Or, contre l’avis explicite du SPD, Angela Merkel a, le 15 avril, autorisé cette démarche tout en annonçant son intention d’abroger en 2018 l’article du code pénal qui punit d’emprisonnement les insultes contre les chefs d’Etat étrangers.

C’est évidemment ce soutien au président turc qui a mis, mercredi, les députés conservateurs en difficulté. Certes, les attaques contre la liberté de la presse « soucient » Andreas Nick (CDU), mais Matern von Marschall (CDU) a précisé qu’il faut « remercier la Turquie pour son aide » dans la crise des réfugiés ; Elisabeth Motschmann (CDU), elle, préfère dénoncer les atteintes à la liberté de la presse… en Russie et en Chine, et Hans-Peter Uhl (CSU) a rappelé que « le rôle du Parlement allemand était de contrôler le gouvernement allemand et non le gouvernement turc ».

Les critiques de Die Linke et des Verts étaient attendues. La CDU s’est retrouvée isolée en raison de l’attitude des sociaux-démocrates. Michelle Müntefering (SPD) a reproché à Angela Merkel de n’avoir rencontré ni représentants des journaux ni ceux de l’opposition durant son voyage en Turquie. Et Martin Dörmann (SPD) a proposé que l’article du code pénal en question soit abrogé « immédiatement » et non en 2018, sujet qui divise la coalition au pouvoir.

« L’Europe ne peut pas laisser la Turquie agir à sa place. Si nous laissions cela, nous nous rendrions dépendants de la Turquie »

En fait, même la CDU est mal à l’aise face à M. Erdogan. La députée Erika Steinbach (CDU) a ainsi critiqué les atteintes à la liberté de la presse sans vraiment défendre la politique d’Angela Merkel. Dans le dernier numéro (avril-mai) de la revue Die politische Meinung (L’opinion politique) publiée par la fondation Konrad Adenauer, proche de la CDU, Norbert Röttgen (CDU), président de la Commission des affaires étrangères au Bundestag, semble lui aussi réservé sur la politique suivie. « L’Europe ne peut pas laisser la Turquie agir à sa place. Si nous laissions cela, nous nous rendrions dépendants de la Turquie », fait-il remarquer.

S’il juge normal d’aider la Turquie à prendre en charge les réfugiés, il remarque que « seule une toute petite partie des 2,5 millions de réfugiés sont hébergés dans des camps et sont pris en charge et nourris. La très grande majorité n’a droit à rien ». Des propos que l’on entend rarement dans la bouche d’Angela Merkel. Les difficultés de celle-ci avec M. Erdogan sont loin d’être terminées. En principe, le Bundestag doit débattre en juin de la reconnaissance du génocide arménien.