Les corps recouverts des deux victimes homosexuelles, le 25 avril, à Dacca. | REHMAN ASAD / AFP

Deux Bangladais connus pour leur engagement en faveur des droits des homosexuels ont été tués lundi 25 avril à coups de mâchette à Dacca, la capitale du Bangladesh. Leur meurtre, qui n’a pas été revendiqué, est le dernier en date d’une série d’agressions mortelles visant des personnalités militantes et laïques.

L’une des victimes, Xulhaz Mannan, était une figure de la défense des droits LGBT. Il était l’éditeur de Roopbaan, le seul magazine de la communauté gay et transgenre du Bangladesh fondé en 2014. Agé de 35 ans, Xulhaz Mannan travaillait aussi à l’ambassade américaine de Dacca, a annoncé dans un communiqué l’ambassadrice des Etats-Unis au Bangladesh, Marcia Bernicat. « Nous exécrons cet acte de violence dénué de sens et exhortons le gouvernement (…) à appréhender les criminels à l’origine de ces meurtres », a-t-elle plaidé. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a de son côté condamné ces meurtres « barbares ».

L’identité de la deuxième victime, qui serait un proche de Xulhaz Mannan, n’a pas été dévoilée. D’autres personnes auraient été blessées lors de l’attaque perpétrée lundi dans le quartier de Kalabagan. Selon le quotidien britannique The Guardian, les assaillants se seraient fait passer pour des coursiers pour pénétrer dans l’immeuble. « Une demi-heure plus tard, j’ai entendu des cris et des coups de feu provenant de l’appartement » de M. Mannan, a rapporté le gardien de l’immeuble au Dhaka Times. Les assaillants ont crié « Allah akbar ! » (Dieu est grand), selon des témoins interrogés par la chaîne locale Jamuna.

Discriminations envers les homosexuels

L’homosexualité est très mal vue au Bangladesh, pays conservateur à majorité musulmane, où les relations sexuelles entre personnes du même sexe peuvent être punies par de la prison à vie. La communauté homosexuelle avait lancé en janvier 2014 le journal Roopbaan (qui signifie « merveilleux garçon » en bengali, mais est également le nom d’une héroïne d’un conte), afin de promouvoir la tolérance. A l’époque, Xulhaz Munnaz déclarait dans les colonnes du magazine LGBT suisse 360° :

« Nous n’avons qu’une vie, ce n’est pas pour la scinder en deux, faire comme si de rien n’était et subir en silence. Etre invisible est une situation confortable car nous n’existons pas aux yeux de la société, nous vivons cachés. Ce n’est plus tenable. Aujourd’hui, la communauté se structure, nous devenons plus forts, plus visibles et donc plus exposés. Mais c’est le prix à payer pour être un jour reconnus et acceptés. »

La même année, l’équipe de Roopbaan avait organisé une première marche « arc-en-ciel » pour défier les préjugés envers les homosexuels. Mais la police avait interdit l’événement, invoquant des risques sécuritaires.

Les défenseurs de la laïcité accusent les islamistes d’avoir une liste noire de personnes à abattre et demandent au gouvernement de mieux protéger la liberté d’expression.
Lundi, le blogueur Imran Sarker, à l’origine en 2013 des plus grandes manifestations laïques contre des dirigeants islamistes, a affirmé avoir reçu la veille des menaces de mort par téléphone. Mais, pour lui, ces menaces sont davantage liées à ses critiques de la répression gouvernementale visant l’opposition qu’à ses positions contre les islamistes.

Cet assassinat « souligne le fait que des militants pacifiques ne bénéficient d’aucune protection dans le pays », a déclaré Champa Patel, directrice d’Amnesty International pour l’Asie du Sud. « La police bangladaise doit assurer la protection des membres de la communauté LGBT du pays, et non les harceler ou les menacer d’arrestation, comme elle le fait », a-t-elle ajouté dans un communiqué.

Des « meurtres isolés » pour les autorités

Samedi, un professeur de 58 ans, Rezaul Karim Siddique, a lui aussi été abattu à coups de machette à Rajshahi, dans le nord-ouest du pays. C’est le quatrième enseignant de l’université publique de cette ville à être assassiné. Dans un communiqué diffusé aux Emirats arabes unis, par l’organe de communication Amaq, liée à l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), le groupe djihadiste a revendiqué l’assassinat de M. Siddique, auteur de poèmes et de nouvelles, « pour avoir appelé à l’athéisme ».

Mais lundi, le ministre de l’intérieur de la République populaire du Bangladesh, Asaduzzaman Khan, a nié tout lien de l’EI avec ce meurtre. « Des insurgés locaux mènent des attentats en instrumentalisant le nom de l’EI », a-t-il déclaré en qualifiant ces affaires de « meurtres isolés ». Il a rejeté l’idée d’une dégradation de la sécurité dans ce pays du sous-continent indien qui a vu nombre de blogueurs et de professeurs assassinés ces dernières années.

Les autorités du Bangladesh, un pays laïque, nient constamment que des groupes islamistes inspirés de l’étranger soient actifs sur le territoire. Des analystes estiment de leur côté que la longue crise politique que traverse le pays a radicalisé l’opposition, et que les islamistes armés y sont un danger croissant.