Le président tchadien, Idriss Déby, est un grand collectionneur de victoires, pas de médailles électorales. Il vient de remporter une nouvelle fois, selon les résultats de la commission électorale tchadienne, la présidentielle, qui s’est tenue le 10 avril. Un groupe d’opposants tenait à préciser vendredi matin, 29 avril, pourquoi cette victoire dès le premier tour, annoncée à l’avance et baptisée « un coup OK », leur semblait contestable. Ils n’en ont pas eu la possibilité.

Le restaurant de N’Djamena où ils s’apprêtaient à tenir une conférence de presse a été investi par des éléments des forces de défense et de sécurité, juste avant le commencement. Il a fallu s’égailler. L’intimidation fait partie du climat politique au Tchad, spécialement par temps d’élection. Le directeur adjoint de campagne d’un des candidats de l’opposition, Laokein Kourayo Medard, se remet à peine de son passage à tabac à Moundou (zone d’opposition) par des éléments des services de renseignement.

« Disparitions » d’opposants ?

Mais une autre dimension se greffe à ce déploiement de muscles : on est sans nouvelles de plusieurs personnes liées à l’opposition. D’abord, un groupe de dizaines de soldats, qui semblent avoir voté pour ce camp et n’en auraient pas fait mystère, a disparu. C’était le 9 avril.

Amnesty international, qui a enquêté sur le sujet, prend l’affaire au sérieux et remarque : « les autorités ont affirmé que les concernés avaient été déployés en mission commandée. Le 21 avril, quatre des personnes présumées disparues ont été présentées à la télévision nationale comme preuve qu’elles sont toujours en vie. Mais aucune information sur leur localisation n’a été communiquée à leurs familles qui n’ont plus leurs contacts et qui ignorent leur date de retour. » Entre 20 et 40 soldats peuvent-ils disparaître au Tchad ?

Un responsable de l’opposition est lui aussi porté manquant. Mahamat Ahmat Lazina aurait été arrêté dans des circonstances inconnues, transféré dans un commissariat dont il se serait « évadé ». Selon le ministre de la sécurité publique, Ahmat Mahamat Bachir, l’opposant serait « dans une cachette » et, au fond, chercherait à ternir l’image du Tchad et de son gouvernement. Un discours similaire était tenu, il y a huit ans, lors de la disparition du chef de l’opposition, Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui avait été enlevé lors d’une attaque rebelle sur N’Djamena. Il n’a jamais été retrouvé. Il est vraisemblable qu’il ait été torturé au point de décéder.

Les nombreuses batailles d’Idriss Déby

S’il est impossible de parler avec certitude de « disparitions », cette hypothèse ne peut pas être prise à la légère. Si cela devait se confirmer, ce serait la marque du début du cinquième mandat d’Idriss Déby, arrivé au pouvoir à N’Djamena le 1er décembre 1990 à la tête d’une rébellion organisée au Darfour (Soudan), avec le soutien de la Libye et de la France.

C’était il y a vingt-six ans. Le pays était alors marqué par les guerres civiles des années 1980 (qui avaient détruit une partie de la capitale), et de la dictature experte en tortures et enlèvements d’Hissène Habré. Ce dernier, jugé pour ces faits par un tribunal à Dakar, au Sénégal, connaîtra son verdict le 30 mai.

En vingt-six ans, le président Déby a fait face à l’instauration du multipartisme et à une greffe du foie. Il a vu couler le pétrole au Tchad, et s’organiser des rébellions au Soudan voisin. Les rebelles ont mené plusieurs attaques dont la dernière (février 2008), est arrivée aux portes de la présidence, à N’Djamena, défendue personnellement par Idriss Déby avec l’aide de ses guerriers et de ses alliés de l’armée française, plus quelques mercenaires pilotant des hélicoptères qui ont, au passage, mis un peu le feu au marché central à coups de roquettes. Mais N’Djamena n’est pas tombée. Idriss Déby l’a emporté, une nouvelle fois. Dans le fracas de la bataille, Ibni Oumar Mahamat Saleh était enlevé chez lui.

Depuis c’est à d’autres batailles que participe l’armée tchadienne. Celle contre les éléments d’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) et ses affidés, au Mali, ont montré que le pays d’Idriss Déby demeurait un allié de poids pour les pays occidentaux dans une région complexe, avec une armée déterminée. Le président tchadien est aussi en guerre contre Boko Haram, dont certains éléments sont implantés dans des îles du lac Tchad où ses troupes ont déjà mené des opérations, comme elles ont aussi combattu au Nigeria, et au Cameroun voisin, la même galaxie djihadiste.

Lors de la poussée de Boko Haram au Cameroun, en 2015, la route d’approvisionnement du Tchad, pays enclavé, vers la mer et le port de Douala, était menacée. Idriss Déby n’a pas laissé faire. Au passage, le Tchad y a aussi gagné la tranquillité accordée aux pays qui se révèlent irremplaçables dans les opérations de lutte contre les mouvements djihadistes.

Il serait étonnant que la France, d’une délicatesse remarquable lorsqu’il s’agit d’affaires politiques tchadiennes, s’étonne de certaines façons de voter et de compter les votes au Tchad. Du reste, ce n’est plus l’ambassadeur de France qui fait figure de canal privilégié vers Paris et l’Elysée. « J’ai été étonné de découvrir que les opposants, au lieu de s’adresser classiquement à l’ambassade de France pour faire valoir leur point de vue, essayent désormais d’entrer en contact avec Barkhane [l’opération de l’armée française dans cinq pays de la région, avec son commandement à N’Djamena] » s’étonne une source impliquée dans le processus électoral.

Cette fois, pour le scrutin, treize candidats étaient en lice. Six opposants ont refusé d’accepter le résultat donné par la CENI (Commission électorale nationale indépendante) : Idriss Déby vainqueur dès le premier tour, avec plus de 61 % des voix. Ils contestent à l’unisson « l’impossible victoire d’un candidat » qui n’aurait été élu « qu’avec les dieux du vol et de la victoire à tout prix ». A en croire Saleh Kebzabo, le chef de file de l’opposition, Idriss Déby serait arrivé en quatrième position : « Il n’est pas au second tour, nous refusons les résultats de la CENI ».