A Sanaa, capitale du Yémen, le 9 avril. | KHALED ABDULLAH / REUTERS

Il aura fallu quelques heures à peine pour que le cessez-le-feu, décrété dimanche 10 avril à minuit au Yémen, connaisse ses premiers accrocs. Dès la nuit de dimanche à lundi, des violations étaient signalées à Taëz, puis à Mareb, les deux principaux fronts sur lesquels s’opposent les rebelles houthistes et les forces loyales au président en exil, Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par l’Arabie saoudite à la tête d’une coalition de pays arabes.

Cependant, ces violences ne remettaient pas fondamentalement en cause la trêve, qui survient un an après l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite contre les houthistes, considérés par Riyad comme une tête de pont de l’Iran à sa frontière sud.

Ces rebelles s’étaient emparés de l’essentiel du pays entre septembre et mars 2015. Des négociations de paix, suspendues à un respect relatif du cessez-le-feu, sont prévues le 18 avril au Koweït sous l’égide des Nations unies.

Les deux camps se sont mutuellement accusés d’avoir violé le cessez-le-feu dans la ville de Taëz, qui verrouille la route menant d’Aden, le grand port du Sud repris par le gouvernement en juillet 2015, à Sanaa, la capitale, aux mains des rebelles.

Violations attendues

Des médias locaux ont accusé les houthistes d’avoir bombardé dans la nuit les positions de la « résistance populaire » pro-gouvernementale dans le sud de la ville, depuis une hauteur dont ils n’ont pu être délogés après des mois de combats. L’agence Khaber, favorable à l’ex-président Ali Abdallah Saleh, allié aux houthistes, a accusé l’aviation saoudienne d’avoir bombardé ces positions.

Les houthistes ont également été mis en cause pour le bombardement des forces gouvernementales à Haradh, dans le nord-ouest du pays. Selon Al-Jazira, la coalition saoudienne a intercepté un missile SCUD tiré par les rebelles vers Mareb, à l’est de la capitale. La présidence yéménite a minimisé la gravité de ces violations, estimant qu’elles étaient attendues.

Le nombre de groupes armés impliqués dans les deux camps, aux motivations parfois extrêmement locales, rend quasiment impossible un respect total du cessez-le-feu. Celui-ci serait en revanche lourdement menacé si les bombardements de la coalition sur Sanaa reprenaient après un mois d’accalmie. De même si la coalition se rendait coupable d’une nouvelle bavure de grande ampleur, comme celle qui a visé un marché du district de Mastaba le 15 mars, provoquant la mort d’au moins 97 civils, dont 25 enfants.

Enfin, la trêve pourrait voler en éclats si les bombardements et les incursions des rebelles reprenaient à la frontière saoudienne, où ils se sont sensiblement réduits depuis un mois.

Une première véritable chance de négociation

Les négociations de paix, qui doivent s’ouvrir au Koweït le 18 avril, sont les premières ayant une véritable chance de succès depuis l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite. De précédents pourparlers, menés en Suisse sous l’égide des Nations unies, avaient échoué en décembre.

Ceux qui s’annoncent ont été préparés par plusieurs semaines de contacts directs, à Riyad, entre des représentants des houthistes et de l’Arabie saoudite, qui ont permis des accalmies à la frontière, à Sanaa et dans le fief houthiste de Saada, ainsi que des échanges de prisonniers.

Ces pourparlers s’inscrivent dans le cadre de la résolution 2216 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2015, laquelle prévoit le retrait des rebelles des villes dont ils se sont emparés et la restitution de l’armement lourd saisi.

Dimanche soir, le médiateur de l’ONU pour le Yémen, Ismaël Ould Cheikh Ahmed, a espéré que le cessez-le-feu faciliterait l’acheminement de l’aide humanitaire internationale au Yémen, qui subit un blocus partiel de la coalition saoudienne depuis un an, et où plusieurs millions de personnes sont menacées de famines, selon le Programme alimentaire mondial.

L’envoyé spécial a précisé que les négociations au Koweït porteraient également sur la formation, à terme, d’un gouvernement de transition, la restauration de l’Etat et la reprise du dialogue politique national, et devaient permettre la création d’un comité chargé de la question des prisonniers.

Un président qui n’a pas intérêt à la paix

Demeurent cependant de nombreux obstacles. Le 3 avril, le président Hadi a surpris en limogeant son vice-président et premier ministre, Khaled Bahah, une figure relativement consensuelle, pour nommer à la vice-présidence le général Ali Mohsen Al-Ahmar. Cette promotion annonce une volonté de poursuivre l’épreuve de force plus que de négocier.

« Les discussions directes entre l’Arabie saoudite et les houthistes sont une menace pour M. Hadi comme pour l’ex-président Ali Abdallah Saleh, qui tentent d’utiliser la guerre pour restaurer leur légitimité », estime Adam Baron, chercheur invité au Conseil européen des relations internationales.

Ali Mohsen participe à la planification des opérations contre les rebelles depuis Riyad. Il fut longtemps vu comme un successeur de l’ex-président Saleh. Celui-ci avait été poussé à se retirer de la présidence en 2012, à la suite des mouvements de révolte populaire du « printemps yéménite », laissant place à un gouvernement de transition dirigé par M. Hadi.

Le général Mohsen, apprécié à Riyad, est haï des houthistes, contre lesquels il a mené les guerres du président Saleh durant les années 2000. Il est impopulaire auprès d’une large part de la population, des libéraux aux mouvements autonomistes du sud du pays. Missionné par le président Hadi pour unir les tribus du Nord, où il a des appuis, contre les houthistes, il paraît y avoir échoué.

Ali Mohsen est en revanche réputé proche de groupes salafistes, dont il a facilité l’essor par le passé dans le nord du pays, en territoire houthiste, et des milices du mouvement Al-Islah, affilié aux Frères musulmans, qui forment une part importante de la « résistance populaire ». Il a maintenu une attitude ambiguë vis-à-vis des djihadistes liés à Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), qui profitent du chaos pour s’ancrer dans l’est du pays. Des éléments liés à ces diverses forces islamistes combattent depuis des mois les houthistes dans la ville de Taëz, dans une alliance de circonstances.