On joue la 89e minute de jeu entre la Jeunesse Club d’Abidjan Treichville (JCAT) et le FC Moossou, ce 18 mars, et Christine Ezoua ne tient plus sur son siège. Alors que l’un de ses joueurs s’apprête à tirer un penalty, la présidente de l’équipe visiteuse quitte la tribune officielle et se tient derrière les gradins, juste assez loin pour ne plus voir le terrain. Elle a pourtant assisté, décontractée, avec son amie Clémentine Touré, la sélectionneuse de l’équipe nationale de foot féminine, à l’ouverture de la marque par son club. Mais le score est passé à 2-1 pour la JCAT et Moossou a maintenant l’occasion de ne pas tout perdre. Lorsque le public explose, son visage se détend dans un large sourire.

« Je ne veux pas être stressée, alors je me dis que ce n’est que du foot… mais il y a des moments où ça remonte ». Quand ça remonte, la présidente est capable de prendre son téléphone en tribune pour tancer son entraîneur - limogé depuis -, quelques mètres plus bas, qui oublie de remplacer des joueurs convalescents. Elle éclate également quand le joueur qui a manqué un premier penalty pour Moossou se précipite sur le second pour remettre ça… Alors qu’elle revient en tribune, le président de la JCAT s’en prend à l’arbitrage assez fort pour que ses propos parviennent aux oreilles de Christine Ezoua. « L’arbitrage a été mauvais, mais contre Moossou ! » corrige-elle.

« Tu vas rester à la maison et on va gérer le club »

La présidente assure ne pas pâtir de remarques sexistes de la part de ses homologues, elle qui est depuis février à la tête de la commission du foot féminin de la Fédération ivoirienne. Elle y est notamment chargée de créer de nouvelles divisions en plus de la Ligue 1. Elle a aussi fait en sorte que l’équipe nationale féminine soit présente le 22 mars, avec les garçons, pour rendre hommage aux victimes de l’attaque terroriste de Grand-Bassam, là où elle jouait enfant dans des tournois inter-quartiers.

À l’origine, Moossou, village aggloméré à l’ancienne capitale, quarante kilomètres à l’est d’Abidjan, est connu pour abriter le royaume Abouré. C’est là que Jacques Aka créé en 2001 un club avec son épouse, Christine Ezoua. Au décès du président en 2010, sa femme, coiffeuse et esthéticienne de formation, n’hésite pas à relever le défi contre l’avis d’une partie de son entourage :

- « Tu vas rester à la maison et on va gérer le club, toi tu t’occupes des enfants.

- Non, est ce qu’il y a un métier pour lequel une femme ne peut pas donner son expérience ? Je vais apprendre ».

Elle sourit lorsqu’elle raconte cette anecdote. « La première année, pendant que je respectais ma période de veuvage, sans activité possible, c’est mon vice-président qui a géré », se souvient la présidente, très croyante.

Faire profiter le foot de la reprise économique

Quatre années se sont écoulées et Moossou est aussi devenue la ville du club en vue. Il a accédé à la Ligue 1 en 2015 et a occupé la première place durant plusieurs semaines, battant notamment le champion en titre, l’AS Tanda (3-0). « Tout le monde veut voir jouer ce promu qui pratique un jeu offensif », se réjouit Christine Ezoua devant une tribune effectivement garnie, alors que le championnat n’attire plus guère.

Son début de saison, la présidente et son nouvel actionnaire, Pierre Deschamps D’Ores, PDG de la société immobilière Construire un avenir meilleur et depuis peu co-président du club, l’ont fait fructifier. Ils ont vendu l’image d’une équipe jeune et ambitieuse, objet de curiosité des télévisions, pour attirer des sponsors, comme la filiale du groupe industriel ivoirien Yechi, Universelle Industries. La Côte d’Ivoire connaît un taux de croissance qui frôle les deux chiffres et Moossou, restructuré en avril dernier, est décidé à en profiter. Sa présidente a cédé à cette occasion 45 % de ses parts à des partenaires pour générer des fonds. Son ambition ? « Bâtir un club à dimension continentale ».

L’ASEC pour modèle

Ses priorités : se doter d’un centre de formation puis d’un stade. Le roi de Moossou, grand propriétaire terrien de par sa fonction et président d’honneur, pourrait aider le moment venu. Christine Ezoua parle également sans détour des joueurs qu’elle devra vendre, alors que le club vient de s’attacher les services d’un agent européen. « On nous a dit qu’il fallait recruter des ″doyens ″, des joueurs d’expérience pour encadrer nos jeunes », s’étonne celle qui voit surtout en eux des « syndicalistes » prêts à retourner le vestiaire pour un oui ou pour un non. Et, en femme d’affaires du football, elle lâche : « Si tu as des joueurs, c’est pour générer des revenus. S’ils sont âgés, ils ne rapportent pas ! »

La présidente ne cache pas vouloir reproduire le modèle de l’ASEC d’Abidjan, qui a formé certaines des plus grandes stars du football ivoirien. Le maître, que Moossou affrontait le 3 avril pour sa première au Stade Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan, a battu l’élève 2-0.