Accusé d'être un support à la fraude, le billet de 500 euros est surnommé, dans les milieux policiers, le "Ben Laden" | LEONHARD FOEGER / REUTERS

En juin 2015, un heureux pompiste de Shenyang au nord est de la Chine a fait sensation en débarquant chez le concessionnaire BMW de la ville pour acheter sa voiture… en liquide. Il fallut une heure aux employés pour décharger les 4 tonnes de pièces et billets bien alignées dans le camion. 660 000 yuans (88 300 euros) en petites coupures, une vie d’économie.

En Allemagne aussi on chérit le vrai argent. Pour payer leurs grosses berlines en espèces, comme ils le font fréquemment, nos voisins ont trouvé plus pratique. D’abord le billet de 1 000 marks, converti à partir de l’an 2000 en coupure de 500 euros. Pas besoin de camion. Même pour s’offrir la Ferrari de ses rêves à un million d’euros, bien rangée, la somme peut tenir dans le volume d’un brique de lait.

Attachement fétichiste

Mais voilà que la Banque centrale européenne (BCE) est en train de sonner le glas de ce billet dont la plupart d’entre nous n’ont jamais vu la couleur (violette). La BCE a annoncé, mercredi 4 mai, qu’à partir de 2018, elle n’imprimerait plus de nouveaux billets de 500 euros. Ceux-ci garderont leur valeur, mais seront de plus en plus difficiles à trouver. Emotion à Berlin, Munich ou Vienne où l’on a, avec cette affaire, un nouveau motif de colère contre l’institut de Francfort, déjà accusée de ruiner les épargnants avec ses taux de dépôt négatifs.

Cet attachement un peu fétichiste aux grosses coupures peut faire sourire en France où depuis le 1er septembre 2015, les paiements en liquide sont limités à 1 000 euros. Pas de quoi s’acheter la voiture de ses rêves. De ce côté du Rhin, on fait porter à l’argent liquide tous les maux. Il serait le support des fraudes (l’argent au noir), des corruptions (pots-de-vin et blanchiment) et des crimes. Le 500 euros a même été surnommé le « Ben Laden » dans les milieux policiers. Il convient donc d’éliminer progressivement le cash. Après la carte de crédit, la technologie du sans contact permet de payer même sa baguette sans sortir son porte-monnaie.

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Cette histoire s’inscrit dans la longue marche de la monnaie vers sa virtualisation. Des premiers coquillages du néolithique aux métaux précieux, ce support à la valeur imaginaire, inventé par les marchands pour fluidifier les échanges, est devenu un enjeu de pouvoir et de souveraineté pour les Etats. Après avoir supprimé au XXsiècle tout lien entre la monnaie et son équivalent en or ou argent, ceux-ci rêvent désormais d’un contrôle absolu sur le moindre échange entre particuliers. Pas seulement pour des raisons de lutte contre les fraudes, mais aussi pour des raisons économiques. Pour relancer la machine, il faut taxer l’épargne, pousser à la dépense. C’est bien plus facile à faire sans les billets que l’on peut stocker sous le matelas. Mais l’individu résiste, aime le bas de laine et l’échange de la main à la main en dehors de tout contrôle des banques ou des Etats. Comme un dernier espace de liberté dans une société qui peut désormais tout savoir de nous.