Benjamin Millepied en répétition pour la création "Clear, Loud, Bright, Forward". | PHOTO ANN RAY/OPÉRA NATIONAL DE PARIS

C’est quasiment un manifeste artistique qui sera donné sur la scène du Palais Garnier, le samedi 26 septembre, dans le cadre du Monde Festival. Ce sera aussi le programme d’ouverture du Ballet de l’Opéra national de Paris tissé par son nouveau directeur, le chorégraphe Benjamin Millepied. Et ce dernier fait sonner ses références. Composé de trois pièces signées George Balanchine (1904-1983), Jerome Robbins (1918-1998) et Millepied lui-même, il dégage l’horizon d’une esthétique néo-classique à l’américaine dans laquelle le nouveau directeur de la danse a grandi.

Pris en sandwich entre ses deux maîtres du New York City Ballet (NYCB) où il fit ses classes de 1995 à 2011, Millepied enfonce le clou d’un héritage qu’il entend faire fructifier. « J’ai eu envie de les associer dans une même soirée et de leur rendre hommage, précise-t-il. Ils ont fait mon éducation artistique et font partie de l’histoire de la danse. »

Une technique millimétrée

Interprète très vite passé à la chorégraphie, Benjamin Millepied s’est construit entre ces deux stars que sont Balanchine et Robbins. Le premier, né à Saint-Pétersbourg, émigré aux Etats-Unis en 1933, fonde la School of American Ballet un an après, puis dirige le NYCB à partir de 1948 et jusqu’à sa mort. Le second, né à New York d’une famille de juifs russes exilés, arrive en 1948 aux côtés de Balanchine et devient directeur adjoint jusqu’en 1958.

Ce style ? Une hybridation de haute technique classique fouettée par le swing, le survoltage et les coups de hanches américains.

De retour en 1969, il endosse le rôle de chorégraphe associé. Ensemble, ils vont bâtir un répertoire unique, donner une identité forte et un style puissant. Ce style ? Une hybridation de haute technique classique fouettée par le swing, le survoltage et les coups de hanches américains. Avec en noyau dur leur passion pour la musique – ils ont organisé conjointement des festivals Stravinsky, Ravel, Tchaïkovski. Sur ce dernier point, Millepied est sur la même longueur d’onde : « Je danse d’abord parce que j’aime la musique. » Un principe qu’il revendique dans tous ses ballets.

Nombre de correspondances plus ou moins visibles lient Millepied à ses maîtres. Régu­lièrement, des soirées de ballets inscrivent d’ailleurs son travail dans leurs traces, l’Opéra de Paris ayant toujours entretenu des liens avec eux. En 2014, parallèlement à sa création de Daphnis et Chloé, sur la musique de Maurice Ravel, Le Palais de cristal (1947), de Balanchine faisait son entrée au répertoire de la troupe parisienne.

Sur une musique de Georges Bizet, cette pièce réverbérait quelques obsessions chères à Millepied : musicalité des corps contenue dans une technique millimétrée, penchant pour les portés longs, les mouvements glissés, appétit pour les pas de deux et leur travail aiguisé de partenariat qui prend parfois une texture rêveuse et un ton de roman sentimental proche de certains ballets de Jerome Robbins comme Dances at a Gathering (1969).

Un travail aiguisé de partenariat

Avec toujours « ce que m’a légué Robbins, une sincérité dans la danse qui se vit au présent, dans le moment, avec des relations vraies sur scène, même si l’écriture est forte et précise », insiste Millepied, qui a noué une entente avec le chorégraphe. « Il s’est intéressé à moi dès que je suis ­arrivé à l’école de danse de l’American Ballet en 1993. Il prenait le temps de me parler. Il m’a donné cette aisance sur scène qui donne l’impression que tout est facile, à la manière d’un Fred Astaire. Parallèlement, il m’a présenté à ses proches comme Aidan Mooney, m’a emmené voir des expositions. Nous avions beaucoup d’échanges artistiques. »

« Je veux placer la barre très haut pour les danseurs. »

En hommage à Robbins, Benjamin Millepied a décidé d’intégrer au répertoire du Ballet de l’Opéra, Opus 19/The Dreamer (1979), sur le Concerto pour violon n° 1 de Sergueï Prokofiev. Le casting original de cette pièce créée pour le NYCB fait grimper les enchères des comparaisons : Mikhail Baryshnikov et Patricia McBride. « C’est un ballet que j’admire énormément, très poétique, beau comme un rêve, commente Millepied. Le rôle de l’homme exige une poésie et une grande maturité artistique. »

De Balanchine, c’est Thèmes et Variations (1947), sur une musique de Tchaïkovski, que les danseurs de la troupe connaissent déjà sur le bout du chausson. « Le ballet le plus difficile du répertoire, le classicisme dans toute sa gloire et sa difficulté, selon Millepied qui l’a interprété. C’est aussi une pièce qui demande du cran car on est très exposé. Je veux placer la barre très haut pour les danseurs. » Avec ce monument, Balanchine, formé à l’Ecole impériale du ballet à Saint-Pétersbourg et admirateur de Marius Petipa, redistribuait ses souvenirs de grands spectacles comme La Belle au bois dormant, tout en ciselant une écriture classique ­abstraite qui se satisfait parfois de la beauté de simples battements de jambes.

Renforcer des complicités

Entre les deux œuvres de ses maîtres, le public du Palais Garnier découvrira donc une création de Benjamin Millepied. C’est aussi pour ce dernier une façon de renforcer de solides complicités. Nico Muhly, partenaire de longue date, signe en effet la partition de cette production qui compte sur les forces vives du corps de ballet et des jeunes pousses qui « l’inspirent » et qu’il met en avant, depuis un an, comme Léonore Beaulac ou Marc Moreau… « Je veux raconter leur personnalité et les valoriser dans ce spectacle, s’enthousiasme-t-il. Ce sera une pièce très énergique, entièrement sur pointes pour les filles, quelque chose d’organique et de précis à la fois. »

Et pour faire rayonner sa « dream team », Millepied a fait appel au collectif britannique United Visual Artists, composé d’experts en trafics artistiques high-tech croisant lumières, sculpture, installation et architecture. Pour l’occasion, il a lancé un programme de rénovation des éclairages plateau du Palais Garnier. De quoi filer un coup de chaud à ses ors patinés.

 

Spectacle « Balanchine/Millepied/Robbins », jusqu’au dimanche 11 octobre. Opéra Garnier, Paris 9e. Samedi 26 septembre, 20 h 30. Réservation sur www.operadeparis.fr

Changer le monde : c’est le thème de l’édition 2015 du Monde Festival qui a lieu les 25, 26 et 27 septembre à Paris avec Anne Hidalgo, Emmanuel Macron, Thomas Piketty, Matthieu Ricard, Evgeny Morozov, Jordi Savall… Comment réguler Internet ? Va-t-on vers la fin de la croissance ? Quels contre pouvoirs à la civilisation numérique ? La musique peut-elle changer le monde ? Retrouvez le programme sur Le Monde Festival.