Un policier en civil arrête un manifestant le 1er mai 2016 à Paris. | ALAIN JOCARD / AFP

De Nuit debout aux cortèges du 1er mai contre le projet de « loi travail », la France traverse une nouvelle période de troubles sociaux, avec ses figures imposées, et notamment les violences, à la fois des manifestants et des forces de l’ordre. Ces dernières sont accusées d’avoir, depuis quelques jours, une « stratégie de la tension » et essuient des critiques quant à leur action, jugée trop violente.

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Que dit la loi sur les manifestations ?

En France, la liberté de manifestation est un droit consacré par la jurisprudence, qui combine le droit d’aller et venir et le droit d’exprimer ses opinions. La loi estime cependant que ce droit doit être compatible avec la nécessité pour la puissance publique de garantir l’ordre et la sécurité des personnes et des biens.

Une manifestation doit donc être déclarée en préfecture (jusqu’à trois jours avant son déroulement) pour être autorisée. Cette déclaration doit inclure le nom et l’adresse d’au moins trois organisateurs du rassemblement, et indiquer les lieux prévus pour la manifestation.

La puissance publique conserve le droit d’interdire totalement ou en partie un rassemblement au nom de la sécurité publique, et d’en condamner les responsables si elle se tient malgré tout : le code pénal prévoit un délit en cas d’attroupement non autorisé et susceptible de troubler l’ordre public.

L’état d’urgence change-t-il quelque chose ?

Lorsque l’état d’urgence est décrété, comme c’est le cas en France depuis les attaques djihadistes du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, l’exécutif dispose d’autres possibilités. Chaque préfet peut ainsi restreindre la liberté de circulation (couvre-feu, zones à accès réglementé…).

Il peut aussi interdire à une personne « cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics » l’accès à un endroit donné, ou encore assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité ou l’ordre public ».

Il peut également interdire « les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre », donc les manifestations, et faire fermer provisoirement « salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunions ».

Mais l’état d’urgence ne donne pas en soi de pouvoirs ou d’impunité supplémentaire aux forces de l’ordre.

Quand les forces de l’ordre peuvent-elles faire usage de la force ?

« Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser restées sans effet [et] adressées dans les conditions prévues par l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure », dit l’article 412-3 du code pénal.

En clair, dès lors qu’un représentant de l’Etat habilité (préfet ou maire, par exemple) ou un officier de police judiciaire estime qu’il y a des raisons d’empêcher un attroupement, et qu’il a, par deux fois et sans succès, demandé aux participants de se disperser, l’emploi de la force est justifié.

Les sommations sont, dans l’ordre : « Obéissance à la loi, dispersez-vous », qui les annonce ; puis : « Première sommation : on va faire usage de la force » et « deuxième sommation, on va faire usage de la force ». Elles peuvent être complétées ou remplacées par le lancement d’une fusée rouge.

En outre, l’emploi de la force est possible sans sommation dès lors que « des violences ou voies de fait » sont exercées contre les forces de l’ordre ou que ces dernières « ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ».

Qui est chargé du maintien de l’ordre ?

Le « maintien de l’ordre » est confié, en France, à deux corps de fonctionnaires spécialisés : les gendarmes mobiles et les compagnies républicaines de sécurité (CRS), qui représentent environ 30 000 hommes à elles deux (17 000 gendarmes mobiles et 14 000 CRS environ). Les deux forces ont des missions assez similaires : la sécurisation de points sensibles et la gestion des rassemblements et manifestations.

Gendarmerie mobile : 12 877 équivalents temps plein, répartis en un groupement blindé, 108 escadrons et trois pelotons d’intervention interrégionaux. Chaque escadron compte 117 hommes, qu’on déploie selon deux formations, « Alpha » (« rétablissement » de l’ordre en cas de troubles avérés) et « Bravo » (maintien de l’ordre lorsqu’il n’est pas perturbé).

CRS : on compte 60 unités de 130 agents, qui s’organisent en sections d’une quinzaine d’hommes, qui peuvent à leur tour se diviser en deux.

Les 67 compagnies de CRS et les 108 escadrons de gendarmes mobiles (dont une vingtaine est stationnée dans les DOM) sont déployés sur tout le territoire et sont sous l’autorité des préfets.

Pour ce faire, CRS et gendarmes disposent d’un équipement et d’un entraînement spécifique.

Dans quels cas peuvent-ils user de la force ?

Le recours à la force est encadré par deux notions : l’absolue nécessité de son emploi et la proportionnalité. Ainsi, dès lors qu’un attroupement est dispersé, le délit qu’il représentait n’est plus constitué et le recours à la force n’est plus justifié.

Le rapport parlementaire rendu en 2015 par Pascal Popelin sur le maintien de l’ordre évoque quatre phases et actions possibles :

  • le recours à la seule force physique (charge, barrages) ;

  • ce recours à la force peut s’accompagner de l’usage d’armes telles les « bâtons de défense » (matraques), boucliers, « containers lacrymogènes à main » ou lanceurs d’eau ;

  • si ce n’est pas suffisant, les forces de l’ordre peuvent utiliser, après une nouvelle sommation, les armes à feu, en l’occurrence les grenades lacrymogènes, instantanées (sans gaz, mais émettant un effet sonore et de choc), qui peuvent être projetées manuellement ou à l’aide d’un lanceur ;

  • enfin, dans le seul cas « d’ouverture du feu sur les représentants de la force publique », c’est-à-dire si on leur tire dessus, les gendarmes et CRS peuvent riposter au fusil de précision (calibre 7,65 x 51 mm), là encore de manière proportionnée.

Quelles armes servent au maintien de l’ordre ?

Les armes non classées en tant qu’armes à feu comme les bâtons en bois, en caoutchouc, télescopiques ainsi que les aérosols de gaz lacrymogènes (spray ou grenades à main) peuvent être utilisées avant la deuxième sommation. On parle de « moyens intermédiaires », mais l’usage de la force doit rester proportionné. En 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à cause de blessures infligées par des gendarmes avec un bâton télescopique, car la victime avait adopté une attitude de « résistance passive ». Le canon à eau peut également être utilisé pour disperser les manifestants.

Usage d'aérosol de gaz lacrymogène en novembre à Paris, avant le début de la COP21. | ERIC GAILLARD / REUTERS

Les armes à feu, en revanche, ne peuvent être utilisées qu’après sommation. On y trouve notamment les lanceurs de grenades (lacrymogènes ou assourdissantes), qui peuvent engendrer différents types de mutilations. Un rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité publié en 2009 évoque notamment le cas d’un manifestant touché à la tête par une grenade lacrymogène dans une manifestation à Toulouse le 7 mars 2006. Le médecin qui l’a examiné a constaté « un traumatisme crânien sans perte de connaissance » et des lésions qui ont entraîné la pose de quarante points de suture.

Lanceur de grenades Cougar. | MINISTERE DE L’INTERIEUR

Les grenades dites « offensives », utilisées par le passé, ont été interdites dans les opérations de maintien de l’ordre en novembre 2014. Ces armes étaient censées être utilisées pour disperser des manifestations violentes et armées, par effet de souffle. Mais elles pouvaient se révéler particulièrement dangereuses en cas d’explosion au contact d’une personne, voire entraîner des blessures mortelles : ce sont ces munitions qui sont à l’origine de la mort de Rémi Fraisse sur le site du projet de barrage de Sivens le 26 octobre 2014.

Le lanceur de balles de défense : on retrouve dans cette catégorie le célèbre « Flash-Ball » ainsi que les LBD 40 et GL-06. Ces armes sont censées faire office d’intermédiaire entre la matraque et l’arme de poing et sont donc fréquemment présentées comme « non létales » ou « sublétales ». Elles ont pourtant engendré des blessures graves (principalement des pertes d’usage de l’œil) qui ont poussé le défenseur des droits à réclamer leur interdiction en 2015. Une demande rejetée par le ministère de l’intérieur qui a dit refuser de « désarmer les forces de l’ordre ».

Un policier qui tient un Flash-Ball le 2 juillet 2009. | BERTRAND GUAY / AFP

Le pistolet à impulsion électrique (de type Taser) est lui aussi considéré comme une arme non létale, qui peut notamment être employée dans des « situations intermédiaires ». Il est néanmoins déconseillé de l’utiliser contre des personnes qui présentent une « vulnérabilité particulière » comme les personnes âgées ou les femmes enceintes. Le défenseur des droits déplorait en 2013 un usage trop répandu du Taser, dans des situations parfois inappropriées. Selon lui, « recevoir une forte décharge d’électricité conduit à une douleur localisée très intense, ainsi qu’à un traumatisme psychologique à la dignité humaine ».

Un Taser aux Etats-Unis en 2011. | © Lucy Nicholson / Reuters / REUTERS

Les armes qui tirent à « balles réelles », considérées comme létales, ne peuvent être utilisées que dans le cas d’une « ouverture du feu sur les représentants de la force publique ».