Page d'accueil du compte Facebook du collectif "I'm happy in Calais". | DR

La page Facebook intitulée « I’m happy in Calais » envoie un signal réjouissant au sujet d’une ville à l’image écornée. Créée en octobre 2015, elle est signée « Droopy » et se taille un petit succès depuis, affichant quelque 2 500 « j’aime ». Son credo : « Il y a un tas de gens heureux à Calais. Alors si vous êtes l’un d’eux, rejoignez-nous et au diable les oiseaux de mauvais augure ! »

On a cherché à rencontrer la ou les personnes à l’origine de cette initiative. Marc et Julien* ont accepté de « lever un coin du voile pour la première fois », à la condition expresse de conserver l’anonymat de rigueur sur leur page. Ils craignaient de le perdre s’ils avaient répondu aux sollicitations des médias locaux car, à Calais, « tout le monde connaît tout le monde ».

Leur but, au-delà des convictions politiques et des opinions personnelles, est de « rallier des Calaisiens de tout bord » autour de l’idée simple de montrer la ville qui est là, sous les yeux de tous, « une ville normale », qui a certes des difficultés mais « comme d’autres villes en France », sans la passer au scanner du « filtre migratoire » que médias et réseaux sociaux s’ingénient à lui renvoyer sans cesse.

Le front de mer, les cabanons, les camions à glace, la Friterie des nations...

Car non, Calais n’est pas une ville à feu et à sang, on s’y promène sans problème, « et si des commerces ferment, d’autres ouvrent aussi » – La Librairie du port ou Chez Steffie, une nouvelle venue au rayon friterie, péché mignon du Nord. Sans oublier les historiques indétrônables, comme Le Beignet tunisien, installé le long de la plage depuis 1938, et dont ils se souviennent s’être régalés enfants. Ou encore « la Cité de la mode et de la dentelle, le Channel, Long Ma en juillet… », lancent-ils avec un enthousiasme non feint.

Soulever le « couvercle noir » qui assombrit les esprits

C’est Marc qui décide d’ouvrir « I’m happy in Calais » afin de soulever le « couvercle noir » qui coiffe Calais et assombrit les esprits. « J’en ai eu assez des histoires autour des migrants, des rumeurs » véhiculées sur les réseaux sociaux et dans les médias, explique-t-il, et il demande à Julien de l’administrer. Les deux hommes, qui sont nés, vivent et travaillent à Calais, ont voulu lancer un mouvement qui envoie par le fond peurs et psychose qui se sont emparées de certains – les clouant chez eux de crainte d’être agressés –, et qui ramène à la surface le positif de la vie à Calais.

Une seule ligne rouge et unique affichage de conviction non négociable : faire barrage à l’ultra-droite et au Front national. Les deux amis veillent à bannir scrupuleusement des commentaires « qui n’ont rien à faire sur cette page » – et qui se sont rapidement taris – et dénoncent la manifestation organisée à Calais du mouvement islamophobe Pegida (Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) le 6 février, très « loin de représenter la majorité des Calaisiens », peu nombreux dans ces mouvements.

DR

Ils n’hésitent pas au passage à faire œuvre de pédagogie, dans les jours qui suivent, citant Pierre Viansson-Ponté, éditorialiste au Monde aujourd’hui décédé, et qui écrivait en juin 1972 :

« Voir : tout est là. Le journal peut mentir. La radio peut mentir. L’image, elle, ne ment pas ; elle est la réalité, elle est la vérité. Plus même : elle gagne en crédit ce que la parole et l’écrit ont perdu. Quiconque a, dans sa vie, pris une photographie ou a été photographié le sait bien. Cette conviction, cette confiance absolue dans ce que les yeux ont vu, sont si ancrées dans l’esprit de chacun de nous qu’il doit faire des efforts pour garder l’esprit critique. Sur l’écran, un homme court. Derrière lui, quelques agents courent aussi, plus vite, ils gagnent du terrain. Le fuyard, un malfaiteur sans doute, va être rattrapé. Mais le champ s’élargit et livre soudain l’objet de la poursuite : tous courent pour prendre l’autobus. Nous avions vu une arrestation imminente, imaginé déjà toute une histoire. C’est l’exemple le plus classique et le plus simple d’images vraies qui imposent une idée fausse. »

Pour Marc, Calais « est une ville qui a plus de problèmes par son image que par ce qu’il s’y passe réellement. »... Ou son absence d’image. La récente émission Des racines et des ailes diffusée sur France 3 consacrée au Pas-de-Calais et qui ne mentionnait pas une seule fois la ville, passant du cap Blanc-Nez à Oye-Plage, sans s’arrêter sur Calais, les a ulcérés, comme de nombreux autres Calaisiens.

Que les gens extérieurs à la ville aient envie de venir

Les deux complices passent quelques heures chaque jour à éplucher ce qui se passe et se dit sur Calais. « Droopy » se fait fort de rapporter les projets à venir – Calais Port 2015, réaménagement du front de mer, etc. –, les événements sportifs ou culturels comme le récent Beautiful Swamp Blues Festival, parle champions de jet-ski ou de boxe du cru, ou poste simplement une photo de la plage « sous le soleil » pour éclairer l’ombre dans laquelle certains vivent et leur rappeler d’ouvrir les yeux, dans la bonne humeur : « Des choses vraies pour contrer les fausses. »

Si leur démarche est faite avant tout pour que les Calaisiens voient leur ville autrement, Marc et Julien espèrent que cela devienne une communauté plus large, que les gens extérieurs à la ville aient envie de venir, qu’ils se l’approprient et y participent. « Ce n’est pas seulement une page d’information de bonnes nouvelles. » Le but du jeu, c’est que d’autres prennent le relais.

Et « quand tout le monde aura décidé de venir passer une semaine de vacances à Calais, “je voulais aller à Calais mais c’est complet” », plaisante Julien, les « Happy Calaisiens » auront le sentiment d’avoir rempli leur mission.

* Les prénoms ont été changés