Claire Wendling à la Paris Comics Expo 2016. | Mathilde Loire/Le Monde

« Je me suis dit : ça y est, les emmerdes sont là. » Claire Wendling soupire en y repensant, encore un peu dépassée par la tournure qu’ont prise les événements. En janvier, à l’occasion du 43e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, l’artiste s’est retrouvée sous les projecteurs, bien malgré elle.

Tout commence au début de janvier. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme dénonce l’absence totale de femmes parmi les trente auteurs sélectionnés pour le Grand Prix. S’ensuit un boycott, de nombreux auteurs comme Riad Sattouf ou Etienne Davodeau font retirer leurs noms de la sélection, et après une grande confusion, les organisateurs du Festival invitent les votants à élire la personne de leur choix.

C’est ainsi que les trois finalistes sont annoncés au bout de quelques jours : Hermann — finalement lauréat du prix —, Alan Moore… et Claire Wendling. « Je crois que c’est Jean-David Morvan qui a dit à tout le monde “Votez pour Claire !”, avance la concernée. Je ne m’y attendais pas, ça fait vingt ans que je n’ai pas fait de bande dessinée. Et je n’aime pas être exposée, en France le milieu est assez dur. »

Une référence dans le milieu

En effet, à l’annonce de sa nomination, les réactions négatives ne se font pas attendre. En cause, son œuvre, jugée pas assez importante pour un Grand Prix. Claire Wendling a participé à plusieurs ouvrages collectifs, et a publié une seule série de bande dessinée, de 1990 à 1996 : Les Lumières de l’Amalou, sur un scénario de Gibelin.

Les Lumières de l'Amalou est une série en cinq tomes publiée chez Delcourt. | Delcourt/Claire Wendling

Peu d’albums, donc, ce qui déchaîne les sarcasmes. Effet pervers de la polémique qui a précédé sa nomination, certains considèrent qu’elle est arrivée là « juste parce que c’est une femme ». Pourtant, Claire Wendling, méconnue du grand public, est une référence dans le monde de la bande dessinée. « Elle le dit parfois, elle est une dessinatrice pour dessinateurs », résume Christian Mattiuci, graphiste, « compagnon et porteur de sac ».

Ils sont en effet nombreuses et nombreux à se réclamer de son influence, en France et en Belgique, mais aussi aux Etats-Unis, comme en témoignaient les commentaires et les discussions sur Internet. Ainsi, le scénariste et dessinateur Denis Bajram écrit sur sa page Facebook :

« Ce résultat n’étonne pourtant pas la grande majorité des auteurs, qui savent bien, eux, la fascination que son dessin a exercé et exerce encore sur de très nombreux dessinateurs de BD, illustrateurs, animateurs et concept artists en France et dans le monde entier. »

« Vous voulez me faire plaisir ? Ne votez plus pour moi », écrit-elle le lendemain de sa nomination sur sa page Facebook, suivie par plus de vingt-trois mille personnes. Et ceux qui critiquent sa nomination ? « Je les emmerde. Mais je suis fâchée qu’on m’ait replacée dans la case BD. J’ai toujours eu le cul entre deux chaises. »

Artiste plutôt qu’auteure

Car Claire Wendling s’accroche à sa liberté, hors des cases dans lesquelles certains voudraient la placer. Son statut souple correspond finalement plus à la jeune génération actuelle d’artistes, partagés entre bande dessinée, illustration, design et animation. Et surtout moins attachés aux étiquettes que les plus vieux. Le terme anglais d’« artist » convient d’ailleurs mieux à Claire Wendling que la très française notion d’« auteur ». « Mais faut pas le dire en France, c’est péjoratif, ça fait prétentieuse. »

Claire Wendling en dédicace à la Paris Comics Expo 2016. | Mathilde Loire/Le Monde

C’est pourtant bien sous le signe de l’art et du dessin qu’elle a mené sa vie. Née en 1967 à Montpellier, elle termine ses études à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême : « J’y ai appris plein de choses », se souvient-elle. En 1989, elle remporte le prix Alph’Art avenir, au Festival d’Angoulême. Elle est repérée par Guy Delcourt, qui la recrute pour sa toute jeune maison d’édition. Suivent deux recueils collectifs, Les Enfants du Nil et Entrechat. L’année suivante est publié le premier tome des Lumières de l’Amalou, « Théo », qui reçoit le prix de la presse à Angoulême.

La série se termine en 1997. Claire Wendling part pour les Etats-Unis. « Je voulais sortir du milieu de la bande dessinée, qui peut être très routinier. Je m’ennuyais, et j’avais besoin de plus de liberté. » Cette liberté, elle la trouve donc de l’autre côté de l’Atlantique, où Warner lui a proposé de travailler sur des films d’animation. « J’ai bossé en free-lance, sur Excalibur, raconte-t-elle, mais aussi Le Géant de fer. Certains projets ne sont jamais sortis, mais ce n’est pas grave : j’y allais pour apprendre. » Notamment à dessiner « de façon différente ». Elle rentre quelques mois plus tard, et publie Desk, un carnet de croquis réalisés à Los Angeles.

Quest for Camelot Official Trailer
Durée : 02:12

« J’ai été parmi les premières en France à publier des carnets de croquis et des art books. » L’illustration, le dessin, lui conviennent mieux que la bande dessinée. Plus jeune, Claire Wendling rêvait de faire de la biologie. Ce goût pour la nature et l’observation des êtres vivants transparaît dans ses dessins, peuplés d’animaux aux silhouettes réalistes et de créatures plus fantasy.

« J’ai dessiné de tout »

« J’ai dessiné de tout : du mignon, du pas mignon. Parfois ça me vient comme ça, parfois le sujet nécessite de se documenter. » Son imagination la fait travailler depuis une vingtaine d’années, comme character design pour Disney, sur la conception graphique du jeu Alone in the Dark IV, sur des ouvrages d’illustration, ou encore comme cover artist de comics américains. En dessiner un en entier ? « Ça m’intéresse moins, c’est un travail de titan. »

Il y a quelques années, elle a été malade. Depuis elle rattrape le temps perdu : « J’ai enchaîné trois années de dessin intensif. » Des projets ? « Je n’en parle pas, c’est important de ne pas rendre compte de tout, de garder la fraîcheur. » Elle se tient à l’écart des polémiques. Dont celle sur l’absence de femmes à Angoulême, même si elle a conscience que son genre peut entraîner un traitement différent : elle a longtemps signé de son seul nom de famille.

En avril, elle était à la Paris Comics Expo, invitée par les organisateurs. « J’aime bien les conventions, le public est plus sympa. » De nombreux fans sont repartis avec des dessins de Claire Wendling, qu’elle a publiés sur sa page Facebook. Le public des comics serait-il plus réceptif à ce statut souple qu’elle revendique ? En 2017, elle sera l’invitée d’honneur de la 75e WorldCon, un congrès mondial de science-fiction.