11 candidats se sont déjà déclarés pour la primaire de la droite. Nicolas Sarkozy n'en fait pas partie. | NICOLAS TUCAT / AFP

Débattue à gauche, accueillie par un flot de candidatures à droite et proposée à de simples citoyens, les primaires se généralisent en France. Si le processus a été mis sur le devant de la scène politique par les socialistes en 2011, l’idée a émergé il y a plus de quinze ans.

  • Présidentielle 1995 : la tentative avortée de la primaire à droite

Juin 1991 : c’est à cette date que Pierre Monzani, directeur général chez Assemblée des départements de France, situe « la naissance officielle des primaires ». « Une charte a été signée. Le RPR et l’UDF s’engageaient à faire des primaires en 1995 », explique le préfet, proche de l’ancien ministre de l’intérieur Charles Pasqua.

A quatre ans de l’élection présidentielle, la droite est alors persuadée de pouvoir battre la gauche mais redoute une multiplication des candidatures qui éparpillerait les voix. En passant par une primaire, celui que Pierre Monzani appelle « Monsieur organisation » espère « éviter l’affrontement fratricide entre MM. Giscard et Chirac et sélectionner le meilleur des deux » pour être le candidat de la droite.

Deux ans plus tard, Edouard Balladur, alors installé à Matignon, propose à Charles Pasqua de remettre l’idée sur le devant de la scène en faisant une proposition de loi. Le ministre imagine alors un scrutin calqué sur celui de l’élection présidentielle, ouvert à tous les électeurs et organisé en partie par l’Etat, « comme à l’américaine ». Aux Etats-Unis, en effet, après la seconde guerre mondiale, ce système est peu à peu devenu la norme.

En France, c’est peine perdue. Le conflit Chirac - Balladur, déclenché par la candidature de ce dernier, « paralyse le système », raconte Pierre Monzani. « Les sondages annonçaient Balladur en tête des primaires. Si Chirac se laissait enfermer dans ce processus, il était mort. » Les proches du futur président de la République mettent en avant la difficulté d’organiser un tel scrutin et remettent en question sa constitutionnalité. Le projet de loi est finalement abandonné.

A l’approche de l’élection, c’est finalement le Parti socialiste qui décide d’organiser une primaire. A la différence près, mais conséquente, que celle-ci est fermée : seuls les électeurs inscrits au parti peuvent voter. 80 000 personnes participent au scrutin et placent Lionel Jospin en tête (65 % des voix) face à Henri Emmanuelli.

  • Présidentielle 2002 : au PS, « la première primaire moderne »

Peu à peu, les primaires internes sont instituées dans les partis politiques français. En 2002, Europe écologie-Les Verts (EELV) choisit ce processus pour désigner son candidat et renouvelle l’expérience en 2007. Le Parti communiste, le Parti socialiste et l’UMP font le même choix, avec quelques subtilités entre les partis. Du côté de l’UMP, Nicolas Sarkozy est seul candidat. Côté socialiste, des adhésions au parti à prix réduits sont lancées pour augmenter le nombre d’adhérents et donc de votants.

Considéré comme un succès, ce scrutin fait office de « première primaire moderne », selon un rapport de Terra Nova. Il a « créé un engouement dans les médias et l’opinion, modernisé l’image du Parti socialiste et offert une dynamique au début de campagne de Ségolène Royal », sortie vainqueur face à Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius.

En 2007, Ségolène Royal sort victorieuse d'une primaire interne face à Laurent Fabius et Dominique Strauss Kahn. | MARTIN BERNETTI / AFP

De quoi conforter ceux qui militaient déjà pour l’instauration de primaires ouvertes dans la vie politique française, à l’image de Jean-Michel Baylet et Roger-Gérard Schwartzenberg, membres du Parti radical de gauche, auteurs d’une proposition de loi en 2006. Le texte, qui propose un cadre législatif aux primaires, liste les avantages du procédé : démocratiser la sélection des candidats à l’Elysée, alors que les Français ont montré leur volonté de s’impliquer lors du référendum de 2005 ; susciter du débat public ; élaborer un projet présidentiel au contact des électeurs et éviter la multiplication des candidatures. Soit l’argument énoncé par Charles Pasqua quinze ans plus tôt.

Entre-temps, un événement lui a donné plus de poids : l’élection présidentielle de 2002 et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. « Ça a marqué un tournant, explique le politologue Rémi Lefebvre, avec la tripartition de la vie politique, il faut être unis au premier tour pour se qualifier ». Pierre Monzani se souvient : « Il y avait une quinzaine de candidats en 2002. Des petits cailloux qui empêchent les grandes chaussures d’atteindre la ligne d’arrivée. C’est ce qui justifie les primaires. Un système qui hisse les chefs gaulois. »

  • Les primaires, une réponse à des partis en crise ?

Il faut pourtant attendre 2009 et la convention nationale du PS sur la rénovation pour que le principe des primaires ouvertes soit institué dans les statuts du parti. En 2011, dans un entretien au Monde, Henri Weber, ancien député européen et partisan des primaires revenait sur le choix de son parti. Selon lui, il serait en partie inspiré de la gauche italienne qui, en 2005, avait organisé une primaire ouverte. Quatre millions d’électeurs avaient alors désigné Romano Prodi comme candidat. Un an plus tard, il accédait à la présidence du Conseil.

Au-delà de l’exemple italien, les primaires « cherchent à répondre à deux préoccupations », explique le socialiste. D’une part, la volonté d’« associer le maximum de sympathisants et d’électeurs socialistes à l’activité politique », mais aussi « répondre à la crise aiguë de leadership que le PS a subi après juin 2002, et qui a atteint son paroxysme en novembre 2008, au lendemain du calamiteux congrès de Reims ». Le scrutin qui place Martine Aubry à la tête du Parti socialiste est en effet entaché de soupçons de fraudes et d’arrangements politiciens.

Malgré sa victoire, de quelques dizaines de voix, sur Ségolène Royal, la maire de Lille commence donc son mandat affaiblie. « Il fallait trouver des idées », raconte Olivier Duhamel, juriste et politologue, co-auteur du rapport « Pour une primaire à la française », publié par Terra Nova en 2008. « On l’a fait dans l’idée que ça servirait un jour. Quand les partis sont en crise, ils regardent ce qu’il y a en magasin, et en magasin, il y avait le rapport de Terra Nova. »

Le document de soixante pages soumet l’idée d’une primaire ouverte au suffrage direct avec des règles de participation plutôt souples. « Une primaire de toute la gauche, sur le modèle italien, permet d’unifier les partis de gauche autour d’un candidat unique », mais « l’extrême gauche refuserait de rentrer dans un tel processus », poursuivent les auteurs qui penchent donc pour une primaire socialiste. Selon eux, chaque candidat devrait avoir son propre programme : « La logique consistant à établir d’abord le programme du PS et choisir ensuite un candidat pour le porter à la présidentielle ne fait pas sens. » Autant de précisions qui rappellent la primaire socialiste de 2011.

Jean-François Copé a pris la tête de l'UMP à l'issue d'un scrutin entaché de fraudes. | ALAIN GUILHOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE

  • Les primaires : une avancée pour les partis, plus que pour les citoyens ?

Organiser une primaire pour répondre à une crise interne. Le principe vaudrait aussi pour Les Républicains. « L’engouement pour les primaires ne s’explique pas de la même manière pour les partis et les citoyens. Pour les premiers, c’est un droit nouveau. Pour les partis, ce sont des raisons plus stratégiques que démocratiques », explique M. Duhamel. Comme le congrès de Reims, la lutte fratricide entre Jean-François Copé et François Fillon pour prendre la tête du parti en 2012 aurait laissé des marques. « Les primaires permettent alors de lever la culture du soupçon en passant par un processus externe. Elles sont d’ailleurs à chaque fois adoptées par les partis quand ils sont dans l’opposition et que des luttes sauvages ont lieu pour déterminer le candidat », poursuit l’auteur du rapport de Terra Nova.

Le succès des primaires socialistes en 2011 aurait aussi accéléré la généralisation du processus. Près de trois millions de personnes participent au second tour du scrutin qui, fortement médiatisé, offre une rampe de lancement à François Hollande. « Il y a un mimétisme entre les partis, explique Rémi Lefebvre. L’UMP l’a adopté parce que ça a marché pour les socialistes, mais si François Hollande n’avait pas été élu président, ça n’aurait peut-être pas été le cas. »

Organisées pour les élections municipales de 2014, à Paris et Lyon pour l’UMP, à Aix-en-Provence, Béziers, Boulogne-Billancourt, Le Havre, Marseille et La Rochelle pour le PS, les primaires s’imposent peu à peu. Jusqu’à être organisées par la droite en vue de la présidentielle de 2017 et discutées à nouveau par la gauche.

« Dans un système politique affaibli, les primaires sont des vitamines, un dopage », affirme Pierre Monzani. Un moyen de redynamiser la vie politique donc. Mais aussi de s’adapter à ses évolutions, selon le chercheur Bernard Lamizet :

« Depuis l’instauration du suffrage universel direct pour l’élection présidentielle, on va dans le sens d’une présidentialisation et d’une personnalisation de la politique. Les primaires ne sont que l’aboutissement de cette tendance puisqu’elles concentrent le débat autour des personnes et non des idées d’un parti. »

La multiplication des candidatures à la primaire de droite conforte cette hypothèse. Avec onze candidats déclarés, qui devraient être rejoints par Nicolas Sarkozy et possiblement par Michèle Alliot-Marie, ce scrutin s’apparente de plus en plus à une guerre des personnalités. L’expérience des primaires socialistes, qui ont propulsé des candidats tels que Manuel Valls et Arnaud Montebourg (respectivement 6 % et 17 % des voix environ) sur le devant de la scène politique, suscite en effet des vocations : un score non négligeable vaut faire-valoir par la suite pour se ménager un bon poste. En cela les primaires n’accentuent-elles pas les divisions au lieu de les éviter ?

Le souci de démocratisation de la vie politique arriverait donc bien loin sur la liste des raisons qui expliquent la généralisation des primaires au sein des partis. « C’est le facteur le plus faible, affirme M. Lefebvre. Les élites ont besoin des primaires et créent donc la demande sociale. »