NRJ souscrit à la diffusion d'un minimum de 35 % de chansons francophones sur ses ondes. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Depuis mercredi 20 avril, des réunions de crise sont organisées au ministère de la culture, dans un climat tendu, suite au vote d’un amendement touchant aux controversés « quotas de chansons francophones » diffusées par les radios.

Quels sont ces quotas ?

C’est une règle qui a fêté ses 20 ans il y a peu. Depuis le 1er janvier 1996, la loi Toubon votée en 1994 impose aux radios privées des quotas de chansons francophones à la radio, c’est-à-dire chantées en français ou dans une langue régionale. Ce qui exclut donc les artistes français qui chantent en anglais, comme la chanteuse Christine & The Queens ou le groupe de rock J.C. Satan. Un quota de nouveautés (morceaux de moins de neuf mois) est également imposé.

Il existe aujourd’hui trois modèles, le principal imposant un taux minimal de 40 % de chansons francophones et 20 % de nouveautés ou artistes émergents ; un modèle 35 %-25 %, et un troisième, 60 %-10 %, appliqué aux radios patrimoniales, comme Nostalgie et Chérie FM.

Certaines stations ont également un fonctionnement différent. TSF Jazz n’a, par exemple, aucune obligation, alors que Nostalgie a souscrit à un taux minimum de 60 %, et la radio Chante France à un taux de 100 %, indique un rapport de l’Observatoire de la musique et du CSA publié en 2013.

Les radios respectent-elles ces quotas ?

Pas toujours. Le CSA adresse régulièrement des mises en garde à des radios. Par exemple, en février, il a averti Radio Star et Alouette qu’elles ne respectaient pas toujours leurs engagements conventionnels sur le quota de chansons d’expression française, en novembre 2015.

Le cœur du problème se situe pour les syndicats et sociétés d’auteurs et de producteurs dans un contournement de ces règles par les radios qui programmeraient sans cesse les mêmes morceaux pour remplir leurs quotas.

En octobre 2013, selon un rapport Yacast, 74,3 % de la programmation francophone de NRJ était constituée avec dix morceaux, 67,3 % pour Skyrock et 64 % pour Fun Radio. Un manque de diversité dans certaines radios grand public pointé par l’Observatoire de la musique, qui met en lumière la domination du top 40.

« L’Observatoire a pu démontrer qu’annuellement un grand nombre de radios ont plus de 50 % de leurs titres en commun. Ce degré de consanguinité des tops 40 entre certaines stations est parfois massif, car quelques stations ont beaucoup de titres de leurs tops 40 en commun avec les titres des tops 40 de la plupart des radios musicales, voire, cas non exceptionnel, la totalité de leurs titres. »

La concentration des diffusions est un phénomène confirmé par plusieurs études. « L’analyse livrée par l’Observatoire de la musique montre que 2 % à 3 % des titres (ceux ayant des rotations supérieures à 400 diffusions) font 75 % des diffusions », pointait le consultant Jean-Marc Bordes dans son rapport remis au ministère de la culture en mars 2014. Une tendance longue confirmée par une étude observant l’évolution des diffusions de 2003 à 2012.

L’amendement controversé adopté par l’Assemblée

En septembre 2015, les députés ont validé un amendement socialiste qui rend ces règles plus strictes. Il prévoit justement que si plus de la moitié des diffusions de chansons francophones sont concentrées sur dix œuvres, les diffusions supplémentaires de ces chansons au-delà des 50 % ne seront plus comptabilisées dans le calcul des quotas.

Un autre amendement est, quant à lui, venu contrarier les ayants droit et les sociétés d’auteurs et de producteurs. Il prévoit une possible baisse de cinq points des quotas minimums sur les trois modèles existant aujourd’hui. L’attribution ou non de cette règle à une radio sera à l’appréciation du CSA.

Quelle est la défense des radios ?

Elles dénoncent les quotas devenus, selon elles, intenables. L’offre francophone baisse dramatiquement, argumentent-elles dans un communiqué commun publié durant l’été 2015 par les groupes NRJ, RTL, Lagardère Active et le syndicat des radios indépendantes (Sirti).

« Seuls 242 albums francophones ont été commercialisés en 2014, contre 718 en 2003, ce qui représente une chute de 66,3 % de la production de musique francophone en un peu plus de dix ans », pointe le communiqué, s’appuyant sur des données du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP).

Les radios privées mettent en avant l’essor des plates-formes de streaming, sur lesquelles l’écoute des utilisateurs est concentrée sur un petit nombre d’artistes. En obligeant les radios à se plier à des règles qui ne contraignent pas les plates-formes de streaming, ces quotas créent un déséquilibre dans la concurrence, argumentent-elles. Pour la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), il est impossible de comparer les deux car les services de streaming sont essentiellement à la demande, contrairement aux radios.

Quel enjeu pour les artistes ?

Si les services de streaming, comme YouTube, Spotify et Deezer, se sont durablement installés dans les habitudes d’écoute des Français, la radio reste un prescripteur très important, et il rémunère beaucoup plus à la diffusion. « Toutes les statistiques mondiales et françaises montrent que la radio reste dominante », expliquait au Monde Jean-Luc Biaulet, PDG de Music Story, entreprise spécialisée dans les données sur les artistes et les sorties musicales.

Selon une étude commandée à la fin de 2013 par la Sacem, près de trois Français sur quatre parmi ceux qui se tiennent informés de l’actualité musicale le font par les médias traditionnels, notamment la radio.

De leur côté, les services de streaming tentent d’apprendre des radios, en intégrant des podcasts, voire, comme Apple le fait depuis juin dernier avec Apple Music, en lançant leur propre radio et en recrutant des animateurs.