On connaît bien les termites, terreurs des villes et des ports. En quelques mois, elles peuvent miner les poutres d’une demeure ancienne, ravager une charpente de bateau ou réduire en poudre les volumes d’une bibliothèque… On connaît moins les termites bienfaiteurs des zones arides, armée des ombres luttant contre l’avancée du désert. Une équipe pluridisciplinaire de l’université de Princeton vient de publier dans la revue Science un article qui rend justice à l’isoptère honni et bouscule, au passage, certains savoirs établis.

Pour cela, les scientifiques de Princeton ont commencé par rapprocher deux cultures éloignées : la biologie animale et l’écologie. D’un côté, donc, l’étude des insectes et de leurs effets sur le paysage. Il y a quatre ans, le biologiste Robert Pringle a ainsi analysé la structure et la répartition de termitières dans les zones arides du Kenya. Ces monticules de quelque 10 mètres de diamètre cachent un réseau de minuscules galeries que l’eau de pluie emprunte à l’occasion. Mais creuser, ça creuse ! Les termites se nourrissent, métabolisent et laissent derrière eux quantité de nutriments. Mieux irriguée et plus riche, cette terre se transforme en oasis pour des plantes en quête d’énergie vitale et pour les animaux. Et tout ça est soigneusement organisé : chaque termitière dispose de six voisines, éloignées d’elle de quelque 50 mètres. « Nous avons démontré que cette organisation permettait de profiter au mieux de l’ensemble des ressources », souligne Robert Pringle.

Résistance à la sécheresse

Sauf que, vu d’avion, ou de satellite, cette répartition en rappelle furieusement une autre. Les écologues ont en effet défini, de leur côté et depuis longtemps, les étapes qui, à mesure que l’eau se raréfie, conduisent un paysage fertile au désert. D’abord homogène, la couverture végétale se morcelle, puis elle prend une structure labyrinthique. Avec la sécheresse persistante, la biomasse se réduit, ne laissant persister que des taches de verdure. C’est cette grande nappe brune parsemée de points verts, ultime résistance végétale avant le basculement terminal vers la désertification, qui est venue titiller les biologistes de Princeton.

Soucieux de mettre tout le monde d’accord, ils se sont tournés vers une troisième science : les mathématiques, celles-là même qui ont pétri la formation de Corina Tarnita avant qu’elle ne devienne professeure associée en biologie de l’évolution dans la prestigieuse université. Avec son collègue statisticien Juan Bonachela, elle a construit un modèle à trois variables (précipitations, plantes, sols), dans lequel elle a introduit deux nouveaux paramètres résumant l’action des termitières : la richesse du sol et sa capacité à absorber l’eau. Et ils ont comparé. C’est une fois la fameuse nappe à pois installée que la divergence s’est faite spectaculaire : « En présence de termitières, la végétation résiste plus longtemps, décline plus lentement, avec non pas un, mais deux seuils, et repousse beaucoup plus rapidement lorsque les précipitations réapparaissent », souligne la bio-mathématicienne. Il suffit pour cela que la structure des termitières demeure. « Or elle peut résister pendant des dizaines d’années », reprend Robert Pringle.

Modélisations (en haut) et images de termitières. A gauche, à grande échelle et vue du ciel ; au centre à l'échelle de chaque construction ; à droite, à l'échelle centimétrique et à l'extérieur de la termitière. | Science/AAAS

Pour les écologues traditionnels, l’étude ne constitue pas un désaveu trop sévère. Tous les sols arides ne sont pas travaillés par les insectes. « Et même dans notre modèle, comme dans les observations sur le terrain, on retrouve, autour des termitières, à petite échelle, les motifs qu’ils ont décrits », précise Corina Tarnita.

Pour les termites, en revanche, l’étude sonne comme un sacre. On savait, en effet, leur société douée d’une intelligence collective rare, avec sa répartition des rôles entre individus aveugles et voyants, sexués ou non, son immense reine, ses reproducteurs ailés, ses ouvriers et ses soldats, tous unis vers un même objectif. On connaissait l’exceptionnelle richesse de l’insecte en protéines : « En Afrique, ils nourrissent les poulets mais aussi les hommes, indique Dominique Louppe, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et coauteur du livre Les Termites dans le monde (Eds. Quæ, 2009). Et les sols argileux des termitières permettent de fabriquer des briques particulièrement résistantes. » Les voilà qui se révèlent en agents de protection contre les conséquences du changement climatique.

Les biologistes de Princeton invitent donc à ajouter à l’arsenal environnemental un volet « termites ». « Principalement en évitant l’utilisation des pesticides alentour et en préservant les sols », note Robert Pringle. Protéger les termites plutôt que s’en prémunir : la science réserve bien des surprises.

Lors de sécheresses persistantes, la biomasse se réduit à quelques taches de verdure, les termitières. | Robert M. Pringle