Une semaine après la reconquête de Palmyre par les troupes gouvernementales syriennes avec l’appui de l’aviation russe, la start-up française Iconem, experte de la numérisation 3D de sites archéologiques d’exception en danger, est sur place. Il s’agit pour Yves Ubelmann, co-fondateur d’Iconem, de réaliser dans la cité antique les relevés numériques des dégradations commises par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), maître de l’oasis depuis mai 2015.

Le Monde dévoile, en exclusivité, les premières photos aériennes d’Iconem, par drone, montrant, en gros plan, ce qu’il reste du temple de Bêl, totalement écroulé, après l’explosion, en 2015, du plus grand sanctuaire dédié au « Seigneur ». Ce joyau était l’emblème de l’opulente cité caravanière qui connut son âge d’or au tournant de notre ère (Ier av.J.-C.- IIè ap.J.-C.). Un mariage d’architecture romaine et de vocabulaire sémitique dont la construction fut financée par les tribus locales elles-mêmes. La structure éclatée du temple de Bêl montre quantité de blocs de pierres et des parties de colonnes qui pourraient être remontés.

Vue aérienne avec un drone du temple de Bêl, principal sanctuaire de Palmyre dédié à Bêl, le Seigneur, avec son rempart de 200 m de côté et ce qui reste de sa colonnade. | Yves Ubelmann/Iconem

L’opération scientifique d’Iconem est menée à Palmyre avec la Direction générale des Antiquités et des musées (DGAM), dans le cadre de Syrian Heritage. L’objectif vise à constituer la plus grande base de données archéologiques 3D de l’état des lieux pour sauvegarder, voire restaurer en partie, le patrimoine saccagé. « On a beaucoup de documentation sur les vestiges avant l’occupation de Daesh (acronyme arabe de l’EI), précise au Monde, Maamoun Abdulkarim, directeur de la DGAM. On aura un projet de restauration à partir des éléments intacts. Pour l’Arc de triomphe, ce ne sera pas une reconstruction mais le remontage d’une partie des blocs, comme le firent, dans les années 1930, l’architecte Robert Amy et Henri Seyrig [archéologue responsable du site pendant le mandat français]. »

Un lieu classé patrimoine mondial depuis 1980

Pour le temple de Bêl, « on a aussi beaucoup de documentation, dessins, photos et scanners de la mission japonaise qui a travaillé sur place, il y a cinq ans, avant Daesh», précise M.Abdulkarim, archéologue, spécialiste de Palmyre. A partir du podium en place, de la base des huit colonnes, « on va voir ce que l’on peut remonter, jusqu’aux fenêtres. Jamais on n’a pensé refaire des bâtiments neufs. On doit respecter l’histoire, laisser des traces de Daesh. On a de bons restaurateurs. Avec vingt personnes sur place, architectes, archéologues... on doit avancer avec espoir, sous le patronage de l’Unesco ». Palmyre est classé patrimoine mondial depuis 1980.

Vue aérienne prise par drone du temple de Bêl après l'explosion , où on voit des blocs intactes et des tronçons de colonnes | Yves Ubelmann/Iconem

En tant que partenaire de longue date de la DGAM, Iconem a accompagné le premier groupe de scientifiques syriens dépêchés sur place, mardi 5 avril. « Impossible de loger à Palmyre », explique par téléphone Yves Ubelmann, depuis Homs où il passe la nuit avec toute l’équipe. « A Palmyre, il n’y a plus d’électricité, la ville moderne bombardée est en cours de déminage. Nous partons à six heures du matin pour trois heures de route avec les check-points et revenons le soir ». Le travail de relevé numérique est aussi réalisé dans le musée mis à sac par l’EI et les bombardements. 400 sculptures avaient été évacuées avant l’arrivée de l’EI, mais les pièces les plus lourdes, statues et bas reliefs, autels dédiés aux divinités locales, ont été renversés, les visages mutilés, comme à Mossoul en Irak.

Photo avant destruction des peintures de la grande salle de la tombe des Trois frères, documentée par l'archéologue Houmam Saad | Houman Saad (DAGAm) et Yves Ubelmann(Iconem)

Les relevés numériques ont aussi concerné la tombe des Trois frères, hypogée dont la structure est intacte car les djihadistes s’en servaient de logement, comme le montrent les photos ci-jointes. Premiers témoignages de la fuite dans l’urgence des soldats de l’EI, il y a une semaine : les matelas et sacs à dos sont abandonnés sur le sol. Comme les reliefs d’un repas, sans doute interrompu : boîte de conserves vides, sacs plastiques, chaise renversée, etc. Hormis la dizaine de tours funéraires que les djihadistes ont fait exploser, ce tombeau était l’un des plus décorés. Les photos d’Houmam Saad, jeune archéologue qui a fait sa thèse sur la nécropole de Palmyre et qui guide Iconem dans son travail, montrent l’état du tombeau, célèbre pour son remarquable cycle de peintures murales, avant que l’EI recouvre les murs d’un badigeon blanc ou décapite les figures sculptées.

Le grande salle de la Tombe des Trois frères où logent les djihadistes de l'EI | Houmam Saad (DGAM) Yves Ubelmann (Iconem)

La vallée des tombes qui n’a pas été minée par l’EI est accessible. Pour la ville antique, il faut attendre l’avancée des démineurs russes qui quadrillent le site archéologique. Ce qui explique que seuls les drones peuvent, pour l’heure, opérer. Avec pour objectif, aussi, de constater les dégâts sur la citadelle du XVIIè siècle qui surplombe la cité antique.

Badigeon sur les décors peints et sculptures mutilées dans la Tombe des Trois frères | Houman Saad (DAGAm) et Yves Ubelmann(Iconem)

Les sarcophages mutilées des trois frères devant lesquels les djihadistes prenaient leurs repas | Houman Saad (DAGAm) et Yves Ubelmann(Iconem)