Pensionnaire à la Comédie-Française depuis mars, l’actrice se prépare à y jouer Agrippine dans Britannicus, de Racine. Une double consécration pour cette comédienne au parcours singulier. 

Etre aujourd’hui pensionnaire de la Comédie-Française revêt quel sens pour vous ?

J’étais très émue quand j’ai signé mon contrat. J’ai été accueillie par toute l’équipe. C’était à la fois un bonheur, un honneur et une fierté. Je tenais à en faire une fête et nous avons sablé le champagne. Il s’agit de bien plus qu’une invitation à jouer, j’entre dans une troupe et dans une maison de théâtre vieille de plus de trois siècles. Entrer au Français est une des envies qu’ont les jeunes actrices au sortir du Conservatoire. L’événement a d’autant plus d’importance qu’il se passe à un moment de ma vie et de ma carrière où je n’imaginais plus pouvoir faire un jour partie de cette famille.

Quelle a été votre réaction quand Eric Ruf vous a proposé le rôle d’Agrippine sous la direction de Stéphane Braunschweig ?

C’était incroyable pour moi de me savoir ainsi désirée simultanément par l’administrateur du Français, et par ce metteur en scène… Deux hommes pour qui j’ai le plus grand respect. Je trouvais surprenant qu’ils me proposent le rôle d’Agrippine. Je ne m’y voyais pas du tout, mais je pense que ce type de rôle est encore plus intéressant quand on ignore au départ jusqu’où il peut vous mener. Savoir que j’allais jouer aux côtés de Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet et Benjamin Lavernhe était aussi la promesse d’une grande aventure. J’ai dit « oui » à tout ça…
Et ce n’est qu’à partir de ce moment-là que j’ai commencé à me rêver dans le rôle.

Comment décririez-vous votre parcours au théâtre ?

Depuis son tout début, il se déroule hors des clous et à rebours de la tradition. Je désirais apprendre le théâtre, mais ni le Conservatoire ni l’école de la rue Blanche n’ont voulu de moi. J’ai toujours eu le désir d’être d’une école, d’une tribu, d’un clan. Je me suis rapidement rendu compte que ça ne marcherait pas ainsi pour moi, que mon chemin se ferait hors des sentiers battus et qu’il serait un chemin solitaire. C’est grâce à Patrice Chéreau que les choses ont changé. Il m’avait repérée lors d’un travail que je présentais dans un atelier avec Pierre Romans au cours Florent et m’a proposé un petit rôle dans sa mise en scène de Peer Gynt d’Ibsen. Une année durant, j’ai observé de l’intérieur le travail des répétitions de la troupe magnifique qu’il avait réunie. La seule façon, pour moi, d’apprendre mon métier a été cette école du regard. Mais Patrice Chéreau a quitté son théâtre à Nanterre et, comme souvent dans cette profession, je suis revenue à la case départ.

Manuele Geromini et Laura Villa Baroncelli pour M Le magazine du Monde

La dernière fois que vous avez interprété Racine, c’était Phèdre sous la direction de Patrice Chéreau. Eric Ruf jouait Hippolyte.

J’y repense toujours avec beaucoup d’émotion. A cette époque Patrice Chéreau m’avait dit : « Tu n’as jamais fait de tragédie, moi non plus, c’est peut-être là qu’est notre principal atout. » Avec lui, il fallait tordre le cou à la tradition. Faire jaillir le sang et les larmes… Quand on y arrivait, le plaisir était fou et l’on avait le sentiment d’accéder à une liberté de jeu extraordinaire. On a souvent distribué Hippolyte en jeune adolescent immature. S’agissant d’Eric Ruf, il lui donnait la stature d’un homme. Cela changeait la donne de nos échanges et j’avais une confiance totale en lui comme partenaire.

Comment se déroulent les répétitions avec Stéphane Braunschweig ?

Il monte souvent sur scène. Il ne joue pas, mais nous indique avec une grande précision ce qu’il aimerait nous voir faire. Stéphane Braunschweig est capable d’une grande concentration dans le travail, mais il sait aussi s’amuser. Il a beaucoup d’humour. C’est un homme particulièrement heureux en ce moment après sa nomination à la tête de L’Odéon-Théâtre de l’Europe et c’est un artiste épanoui. Comme ce fut le cas avec Patrice Chéreau, lui aussi se confronte pour la première fois à la tragédie avec Britannicus.

Quel est le point de vue de Stéphane Braunschweig sur la pièce ?

Chaque metteur en scène a son avis sur le vers racinien. L’important étant que les comédiens se conforment à cette règle pour que le souffle du texte s’accorde entre eux tous. C’est à travers notre jeu choral que la pièce va trouver son unité, son rythme et sa respiration. Britannicus est basée sur les intrigues du pouvoir. Stéphane Braunschweig l’inscrit dans un décor d’aujourd’hui pour en faire l’écho de batailles politiques qui pourraient se dérouler à notre époque. Son parti pris est très contemporain. Incarner une femme politique de notre siècle me permet d’aller dans le sens de la grande modernité qui existe dans le personnage d’Agrippine.

Propos recueillis par Patrick Sourd

Britannicus de Jean Racine, mise en scène de Stéphane Braunschweig. Avec Dominique Blanc, Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe. A la Comédie-Française, Salle Richelieu. Place Colette, Paris 1er. Tél. : 01-44-58-15-15. Du 7 mai au 23 juillet. www.comedie-francaise.fr