Conférence de presse, le 16 février, de Jean-Bernard Levy, PDG d'EDF et de son directeur financier Thomas Piquemal (qui a démissionné début mars) pour la présentation des résultats du groupe. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Par Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France

C’est dans une atmosphère plombée par la perte de confiance des investisseurs qu’EDF a publié ses comptes 2015, révélant des perspectives financières inquiétantes. Au menu : un accroissement de la dette de presque 10 % pour un ebitda [équivalent du résultat brut d’exploitation] stable et une baisse de 68 % du résultat net par rapport à 2014.

Pour ne pas fragiliser davantage l’entreprise, l’État a récupéré 1,8 milliard d’euros de dividendes sous forme d’actions plutôt qu’en cash comme il le faisait jusqu’à présent. Face à la baisse de rentabilité du parc nucléaire français, le patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, n’entrevoit comme seule solution qu’une forte hausse des tarifs réglementés qui pénaliserait entreprises et ménages.

Déboires des projets d’EPR, perte de rentabilité des réacteurs nucléaires anciens, fuite de 30 % des clients professionnels, difficultés de recrutement de collaborateurs, défiance des syndicats… Au-delà des mauvais résultats financiers, l’entreprise EDF est en réalité plongée dans une crise structurelle et identitaire.

Et ce ne sont pas des ajustements à la marge ou des incantations qui lui redonneront son assise financière, mais une profonde refonte de son projet industriel. Il faudra en effet que le groupe et l’État actionnaire convainquent les investisseurs et les observateurs financiers, et plus largement la majorité des Français, que le cap fixé sera le bon.

Areva n’existe plus

Ce nouveau projet industriel d’EDF doit être en phase avec les évolutions lourdes que constitue la libéralisation progressive des marchés européens de l’énergie depuis le début des années 2000, et avec l’essor massif des énergies renouvelables en Europe et dans le monde. À l’inverse, la stratégie portée par Jean-Bernard Lévy et Emmanuel Macron, fondée sur l’exportation de réacteurs nucléaires, s’enfonce dans le déni de cette réalité.

Leur vision remonte au début des années 2000 et au mythe d’une « renaissance » du nucléaire et d’une vague d’investissements comparable à celle des années 1970 et 1980. Un mirage qui a conduit l’ancien président d’Areva, Luc Oursel, à prédire la vente de dix réacteurs entre 2011 et 2016. Au final, aucun réacteur n’a été vendu, et Areva n’existe plus car le marché du nucléaire se rétrécit d’année en année.

Les chiffres sont sans appel : selon la dernière édition du World Nuclear Industry Status Report, le rythme moyen de mise en chantier de réacteurs nucléaires était de 32 chaque année dans le monde entre 1965 et 1985. De 1995 à 2015, ce rythme est tombé à six mises en chantier par an, pour un chiffre d’affaires moyen autour de 20 milliards de dollars.

En Chine, pays considéré comme le nouvel Eldorado par les entreprises du nucléaire, l’objectif à 2020 fixé par les plans stratégiques successifs a été revu à la baisse : établi à 130 GW de nucléaire dans le plan 2010, il est passé à 70 GW dans celui de 2011 et à 58 GW dans celui de 2014.

Investir massivement dans les énergies renouvelables

La dynamique sur le terrain est également éclairante : un seul des dix chantiers qui devaient être achevés en 2015 l’a été, et seulement deux des neuf réacteurs qui devaient être connectés entre 2017 et 2021 sont mis en construction. Le marché nucléaire chinois fond comme neige au soleil au profit des énergies renouvelables, dont la Chine est devenue le premier acteur mondial. Fin 2015, la Chine comptait en effet huit fois plus de capacités renouvelables que de capacités nucléaires avec 145 GW d’éolien, dont 31,5 installés en 2015, et 45 GW de solaire, dont 15 installés en 2015.

À l’image de la Chine, les renouvelables représentent aujourd’hui plus de la moitié des nouvelles capacités installées dans le monde. Le marché mondial des réacteurs nucléaires, sur lequel la France n’a historiquement fourni que 2 % des réacteurs hors de son territoire, n’offre quant à lui aucune réelle perspective de débouchés. Et les énormes subventions accordées aux projets de réacteurs, comme celui d’Hinkley Point C au Royaume-Uni, ne suffisent pas à rendre le risque supportable pour des investisseurs privés. Loin de sauver l’entreprise, un projet industriel qui reposerait sur l’export de réacteurs nucléaires serait mortifère pour EDF et dangereux pour l’environnement et les populations.

Libérée du projet d’export de réacteurs et de l’obligation de faire de son parc français une vitrine, EDF pourrait envisager plus sereinement la fermeture de ses réacteurs et se détourner du projet risqué et coûteux de prolongation de son parc nucléaire au-delà de 40 ans.

Réduisant ainsi sa surcapacité en France, l’entreprise retrouverait de nouvelles marges financières qu’elle pourrait investir massivement dans les énergies renouvelables en France et dans le monde – un marché en pleine croissance dont le chiffre d’affaires atteignait 300 milliards d’euros en 2015, dix fois plus que celui des réacteurs nucléaires. C’est là qu’est toute la différence entre une voie d’avenir et une voie sans issue.