Le président angolais, José Eduardo dos Santos, en avril 2016, à Luanda. | AFP

Après la tempête judiciaire marquée par la très lourde condamnation des 17 revus - de deux à huit ans de prison pour délit de lecture, des magistrats ont fait preuve de zèle pour défendre les intérêts du pouvoir en place.

Pour nombre d’observateurs et d’analystes, ces juristes ont privilégié le costume de « bourreau » à celui de juge indépendant. Comme le démontre la condamnation à 28 ans de prison prononcée en avril à l’encontre du chef de la secte évangéliste Lumière du jour, José Kalupeteka. Ce dernier était le principal accusé lors du procès dit du « Mont Sumé », du nom de cette montagne située à 25 kilomètres de la ville de Caála dans la province de Huambo, au centre du pays, où vivaient quelque 3 000 de ses fidèles. Son arrestation par les forces de l’ordre avait donné lieu à un bain de sang : 13 membres de la secte sont décédés en plus des policiers, ce qui porte le bilan officiel à 22 morts. Dans son verdict, la cour provinciale de Huambo n’a jamais évoqué les représailles des troupes gouvernementales soupçonnées d’avoir tué près d’un millier de personnes.

Arrestations et jugements de morts et de vivants

Cette justice jugée inique par des nombreux Angolais s’inscrit dans une longue tradition d’absurdité et de détournement des faits. Quitte à tomber dans de la fiction judiciaire et à adapter les procédures.

Les exemples sont innombrables : il y a le fameux procès Miala, un chef de la police secrète, accusé en 2006 et sans fondement de tentative de coup d’État, auquel il faut ajouter des cas nombreux de journalistes persécutés, ou encore l’affaire Marcos Mavungo, condamné à quatre ans de prison ferme en septembre 2015 pour avoir osé demander l’autorisation d’organiser une manifestation pacifique dans les rues de Cabinda.

Certains juges comme José Sequeira, vont plus loin : tout récemment, il a ordonné l’arrestation d’un cadavre. L’épouse du défunt, qui devait répondre d’une charge d’abus de confiance dans une affaire d’héritage, s’est présentée devant le magistrat avec le certificat de décès de son mari. En vain. Le 8 avril, le juge a renvoyé à la veuve une convocation identique en tout point à la première. En Angola, la mort n’est pas un motif suffisant pour se soustraire aux foudres de la justice.

Les vivants ne sont pas mieux lotis et certains risquent de mourir sous les verrous en raison des lenteurs sidérantes de l’administration. Sur son site Maka Angola, le journaliste et opposant Rafael Marques fait régulièrement l’inventaire des situations les plus folles, dignes du Guinness Book des records. Le dernier cas en date concerne Domingos Manuel Filipe Catete, 32 ans, incarcéré depuis le 16 mai 2008. Son crime ? Il a été pris en flagrant délit en train de dormir, ivre, dans une voiture qui n’était pas la sienne. Il croupit depuis huit ans dans les gêoles angolaises où il a été placé en détention préventive. L’intervention de Rafael Marques auprès du commandement de la police nationale est jusqu’à présent restée sans suite.

Nominations administratives ubuesques

Ce cas n’est pas isolé. Nombre de voleurs de poulets et de citrons pourrissent depuis des lustres en prison. Deux autres hommes, eux soupçonnés de « vol de vêtements usagés », ont passé respectivement sept et cinq ans en prison. Mais cette fois, la plainte déposée par le site Maka Angola a porté ses fruits. Les deux individus ont fini par être libérés.

La communication administrative de la présidence angolaise témoigne elle aussi de remarquables performances en matière d’absurdité : en mai 2015, le président José Eduardo dos Santos signe un décret (n°101/15), portant nomination d’un haut fonctionnaire de la police nationale, le sous-commissaire Andrew Kiala. Sauf que ce dernier était mort. Qu’importe. Le chef de l’Etat a tout de même ordonné à son ministre d’organiser la cérémonie d’intronisation du défunt.

En janvier 2014, on a présenté à la signature du président, un décret administratif qui octroyait le grade de brigadier à António Vieira Lopes « Tó », ancien délégué de la police secrète de Luanda (SINSE), alors en état d’arrêt et répondant au tribunal pour les meurtres de deux militants et opposants assassinés par les autorités angolaises deux ans plus tôt.

Surpris, le président José Eduardo dos Santos a ordonné une enquête pour comprendre comment cette promotion était arrivée sur son bureau au moment où un procès criminel se déroulait contre le colonel Vieira Lopes « Tó ». Les résultats de l’enquête n’ont jamais été publiés. En Angola, justice et administration semblent parfois au-dessus des lois et de la raison.