Le premier ministre serbe Aleksandar Vucic lors des élections générales anticipées, à Belgrade, le 24 avril 2016. | MARKO DJURICA / REUTERS

Aleksandar Vucic est plus que jamais le maître incontesté de la Serbie. Selon des résultats encore partiels, le premier ministre serbe a obtenu une victoire éclatante, dimanche 24 avril, lors des élections générales anticipées. Son Parti progressiste (SNS) rassemble entre 50 % et 56 % des suffrages, plus que les 48,35 % obtenus en 2014, et plus que les 50 % que ses partisans disaient viser.

L’objectif est atteint : M. Vucic, qui gouvernait jusque-là au côté du Parti socialiste, est désormais seul maître à bord. Il pourra gouverner seul, ou bien composer une nouvelle coalition à sa convenance, avec les députés des minorités nationales – bosniaque et hongroise – ou bien avec certains Démocrates, dont le ralliement constituerait le couronnement de la stratégie de recentrage de M. Vucic. La participation (55 %), en hausse par rapport à 2014, constitue pour le premier ministre un autre motif de satisfaction.

Derrière, c’est un champ de ruines. Les socialistes d’Ivica Dacic conservent leur statut de deuxième force du pays (environ 11 %), mais à des années-lumière du SNS. Les Démocrates, qui ont gouverné le pays entre 2000 et 2012, et s’étaient divisés entre plusieurs listes concurrentes, sont à terre. La liste de l’ancien président Boris Tadic (2004-2012), n’est pas certaine de dépasser la barre requise des 5 % pour entrer au Parlement. Celle de Bojan Pajtic, qui a récupéré le parti, obtiendrait moins de 7 %.

Mais la vraie surprise vient de l’extrême droite. Acquitté de crimes contre l’humanité il y a moins d’un mois par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le tribun ultranationaliste Vojislav Seselj obtient la troisième place avec environ 8 % des voix. Au total, les listes ayant fait campagne sur des thématiques ouvertement prorusses rassemblent près de 15 % des suffrages.

Ses « erreurs » passées

Jamais, depuis la chute de Slobodan Milosevic en 2000, un dirigeant serbe n’avait à ce point dominé la scène politique du pays. La comparaison exaspère à Belgrade, où l’on voudrait tourner la page des années 1990. Mais elle est inévitable tant la carrière d’Aleksandar Vucic reste marquée par ses années de collaboration avec le dictateur ultranationaliste.

De 1998 à 2000, il fut son ministre de l’information, et à ce titre responsable de la répression qui a frappé les médias locaux, mais aussi étrangers, au moment des bombardements de l’OTAN sur Belgrade, en 1999. Aleksandar Vucic fut aussi longtemps membre du Parti radical (SRS) de Vojislav Seselj. En 1995, après le massacre de Srebrenica, il promettait : « Pour un Serbe tué, nous tuerons cent Musulmans ».

M. Vucic a brutalement opéré sa mue en 2008, quittant les Radicaux pour fonder le Parti progressiste, formation conservatrice et proeuropéenne. Il a reconnu à plusieurs reprises ses « erreurs » passées et se dit même « fier » d’avoir changé. Sur les dossiers régionaux, il a donné des gages importants, se rendant à deux reprises à Srebrenica ou signant en août 2015 un accord de coopération avec le Kosovo — ancienne province serbe que Belgrade ne reconnaît pas.

Estimé par l’UE, ami de la Russie

Le succès a été spectaculaire. Dès 2012, il arrive en tête des élections législatives, mais se contente du poste de vice-premier ministre, pendant que son allié, Tomislav Nikolic, également SNS, prend la présidence. En 2014, il devient premier ministre, et gagne l’estime des chancelleries occidentales, pour qui la domination de cet avocat de formation aux allures de technocrate est un gage de stabilité. « En 2008, son revirement a été une manœuvre politique, note un diplomate européen. Mais à force d’afficher son soutien à l’Europe, il ne peut plus reculer. Et depuis son arrivée au pouvoir, la Serbie est un partenaire crédible dans les négociations d’adhésion. »

Reste toutefois une certaine ambiguïté. Le premier ministre n’a jamais caché que son renoncement à ses positions ultranationalistes et son choix de l’Europe étaient avant tout guidés par le pragmatisme économique. C’est le discours qu’il tient aux Serbes depuis plusieurs années : sans l’Union européenne, pas de développement économique. Il l’a répété durant sa campagne, défendant l’accord conclu en début d’année avec le Fonds monétaire international (FMI) et assurant, contre toute évidence, que celui-ci avait déjà permis l’arrivée massive d’investisseurs étrangers.

Dans le même temps, soucieux de ménager une part de son électorat traditionnellement très russophile, M. Vucic prend aussi systématiquement soin, quand il parle de l’Europe, de rappeler l’amitié « indéfectible » qui lie son pays à la Russie. Lors de la crise ukrainienne, poussé par plusieurs pays européens à se rallier aux sanctions contre la Russie, il a refusé, recevant l’appui de Paris et Berlin. Surtout, regrette Vesna Rakic Vodinelic, ancienne opposante à Slobodan Milosevic et proche des Démocrates, « les transformations demandées par l’UE sont présentées à l’opinion comme un chantage, pas comme une opportunité de progresser vers l’Etat de droit ».

Censures et populisme

L’Etat de droit, voilà l’autre critique régulièrement adressée au tout-puissant premier ministre. Bruxelles estime régulièrement que la justice serbe reste sous le contrôle du pouvoir politique. La lutte contre la corruption, malgré l’arrestation emblématique du premier des oligarques serbes, Miroslav Miskovic, reste, au mieux, balbutiante.

Les journalistes, eux, se plaignent de pressions. « Non pas une censure de type despotique, explique Ilir Gasi, de la Fondation Slavko Curuvija, du nom d’un journaliste assassiné en 1999, mais un climat favorable à l’autocensure ». Dernier épisode en date, il y a une quinzaine de jours, une journaliste d’une télévision régionale a été suspendue après avoir demandé au premier ministre s’il avait renoncé à son rêve de « Grande Serbie ».

Dans ce contexte, Aleksandar Vucic a pu apparaître souverain à la télévision, multipliant les inaugurations en tout genre et laissant à l’opposition la portion congrue. L’homme est populiste, à n’en pas douter. Jeudi, dans un meeting « à l’américaine » rassemblant 20 000 personnes, le candidat Vucic lançait à la foule : « Quand on m’insulte moi, c’est vous qu’on insulte ». Tout à sa mission messianique, il s’est mis récemment à citer Max Weber, enjoignant la Serbie à adopter « l’éthique protestante ». « Les gens en Serbie veulent un leader fort, balaie Nebojsa Stefanovic, ministre de l’intérieur et proche de M. Vucic. Un leader capable de les guider et de leur apporter des réponses. »