"Entreprises. Muter ou périr face à l’ubérisation du monde", de Denis Marquet et Edouard Rencker (l’Archipel, 192 pages, 18 euros). | L'Archipel

Le mot le plus employé par les patrons du CAC 40 en 2013 ? « Crise ». Après des décennies de croissance, la crise semble avoir tétanisé l’ensemble des managers et des patrons. Depuis la dernière récession, en 2008, le PIB mondial ne cesse de baisser. La croissance pérenne s’éloigne. Plus de la moitié des entreprises du célèbre classement Fortune 500 ont aujourd’hui disparu. Denis Marquet et Benoît Rencker ne sont pas dupes : la crise est bien là, elle s’est installée dans nos sociétés de façon permanente, constatent-ils dans leur ouvrage Entreprise, muter ou périr.

Mais le spécialiste de la gestion de crise et le PDG de Makheia (groupe de communication digitale) ne versent pas pour autant dans le pessimisme. Plus que de crise, ils préfèrent parler de révolution, et lancent un appel aux entreprises : « il est grandement temps de tourner la page de l’entreprise à papa ! De penser autrement. Muter ou périr, il faut désormais choisir. Salariés, patrons, actionnaires, réveillez-vous ! »

Car le temps presse : l’entreprise de demain n’aura plus rien à voir avec les modèles qui prédominent aujourd’hui, mais qui risquent d’être balayés dans des délais rapides. Alors qu’il aura fallu « près de quatre siècles pour accoucher de la Première Révolution industrielle, et de cent ans pour la Deuxième, la nouvelle “Révolution digitale” a mis moins de dix ans pour impacter en profondeur l’économie mondiale et bouleverser le fonctionnement des entreprises ».

L’ère du chaos

C’est en moins de cinq ans que Twitter s’est imposé comme média alternatif, et on connaît la vitesse impressionnante à laquelle Uber a bousculé l’organisation des taxis. Le directeur de la communication groupe de Crédit agricole S.A. et le PDG de Makheia proposent donc des solutions pour réinventer l’entreprise dans cette IVe révolution en marche.

Les deux auteurs commencent par dresser un état des lieux de cette « ère du chaos », où toutes les certitudes sont bousculées. Croissance, rentabilité, investissement, trésorerie ne sont plus les piliers du modèle économique. Dans cet univers incertain, beaucoup d’entreprises mordent la poussière, même les mastodontes.

On peut citer Kodak, Virgin Megastore, ou encore Pan American Airlines (Pan Am), tombée au début des années 1990 car elle n’a pas su s’adapter à la déréglementation du marché américain. Ne jurant que pas les vols long courriers, elle a laissé la place aux entreprises turbulentes du low-cost. « S’il y a une leçon à tirer de cette accélération de l’histoire, c’est que l’innovation permanente est devenue un impératif absolu pour espérer survivre ».

Apple l’a compris, qui a déjà commercialisé douze modèles successifs d’iPhone depuis 2007. « Plus que jamais, il est interdit de s’endormir sur son succès. Le monde pourrait avoir changé au réveil ».

Concurrencées, déroutées, les entreprises doivent revoir leurs modèles et se réinventer, depuis leur pilotage jusqu’à la gestion des ressources humaines en passant par l’organisation ainsi que les process de création et d’innovation.

Oubliée la rentabilité !

Première pensée dominante à revoir selon les auteurs : la rentabilité. Pour eux, la valeur ajoutée collective doit désormais précéder la valeur produite, jusque « s’il le fallait, à constater la fin du capital ! »

La nouvelle économie prouve, en effet, que des pans entiers du numérique échappent aux logiques économiques classiques. Concevoir un produit génial et avoir une productivité proche du néant, être évalué à plusieurs milliards de dollars et ne produire que des pertes est possible, c’est ce que montre l’exemple de Snapchat. Récemment valorisée à 10 milliards de dollars, l’application de messagerie dite « fantôme » ne génère quasiment aucun revenu.

Les auteurs avancent ensuite un ensemble de solutions pour réinventer l’entreprise : produire de l’inédit, accepter l’erreur, mais aussi changer la communication. Exit la pub et son cortège de techniques marketing éculées, place à « la communication, la vraie », celle qui crée du lien et accompagne les transformations.

Un exemple ? Lorsqu’en en 1910 Michelin lance le fameux Guide Rouge, la marque ne fait pas l’apologie du pneumatique. Elle se concentre sur ce qui fera bouger le Français : la gourmandise, qui transformera les citoyens en consommateurs de pneumatiques. « Michelin est devenue une marque iconique parce qu’elle a su construire une conversation avec ses publics et lecteurs ».

Les solutions, parfois un peu trop abstraites, sont nombreuses, et bouleversent véritablement le fonctionnement des entreprises. Mais une chose est certaine : « en changeant profondément organisations, comportements et système de communication, l’entreprise d’aujourd’hui peut sans difficulté affronter la complexité d’un monde parfois déroutant ».

Entreprises. Muter ou périr face à l’ubérisation du monde, de Denis Marquet et Edouard Rencker (l’Archipel, 192 pages, 18 euros).