François Hollande, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, mercredi 6 avril. | JEAN CLAUDE COUTAUSSE/FRENCHPOLITICS POUR LE MONDE

Ils sont de moins en moins nombreux à y croire. Ministres, anciens comme actuels, députés ou membres du PS sont inquiets concernant l’avenir de François Hollande et, au-delà, de la gauche dans son ensemble. Car beaucoup doutent de la capacité du chef de l’Etat à renverser la vapeur en vue de 2017, voire à se présenter à la présidentielle.

Les socialistes attendent un signal pendant l’émission exceptionnelle « Dialogue citoyen », à laquelle François Hollande doit participer jeudi soir, sur France 2, afin de remobiliser son camp. « ll faut que la gauche se retrouve autour du président de la République (…). Il faut que nous défendions son bilan, mais il lui appartient, surtout, de dire la suite, de montrer le chemin », déclare le premier ministre, Manuel Valls, dans Libération, mercredi 13 avril. « On doit montrer la cohérence de notre action et la façon dont les politiques publiques qu’on a menées ont changé la vie des gens », ajoute Hélène Geoffroy, la secrétaire d’Etat à la ville, qui accueillait, mercredi, tout le gouvernement pour un comité interministériel à Vaulx-en-Velin (Rhône), commune dont elle fut maire.

Mais le format de l’interview télévisée « face aux Français » semble, pour beaucoup, éculé. Et le chef de l’Etat, quoi qu’il puisse dire, comme déconnecté du pays. « François Hollande est d’une génération qui a appris par cœur la différence entre les sovkhozes et les kolkhozes, il reste sur de vieux schémas. Pour lui le monde des réseaux sociaux, d’Internet et de la mondialisation, c’est de l’hébreu », lâche, la dent dure, le député socialiste Malek Boutih.

« On a envie d’y croire »

« La réalité, c’est que, quoi qu’il arrive, c’est déjà fini pour Hollande, il n’a plus aucun levier, plus aucun ressort », estime Aurélie Filippetti, l’ex-ministre de la culture, pour qui la page du quinquennat est déjà tournée, du fait des renoncements présidentiels. « C’est très mal embarqué, reconnaît un autre ancien ministre. Hollande a dilapidé tout son crédit acquis après les attentats. La dernière séquence, révision constitutionnelle et loi travail, est une catastrophe qui l’a déjà achevé. Hollande sentait le peuple, aujourd’hui il est comme Sarkozy ou Chirac avant lui à l’Elysée, il ne sent plus rien. »

Après la déchéance de nationalité, le projet de loi sur le code du travail continue de semer le trouble dans la majorité. « Je ne crois pas qu’être moderne, c’est accompagner la droitisation de la société », dit un proche de M. Hollande, qui avoue « ne pas comprendre » la stratégie de ce dernier. Au sein du gouvernement, plusieurs ministres exhortent le président à frapper les esprits. « Il y en a marre des politiques d’austérité, Hollande doit trouver un sujet qui rassemble tout le monde, il doit redonner du sens, le pays a besoin de rêve », s’emporte l’un, comme s’il voulait se persuader lui-même que le chef de l’Etat pouvait encore renverser la situation.

En privé, certains de ses soutiens les plus fidèles lui conseillent d’envoyer un message à sa majorité déboussolée. « On est prêt à l’aider en 2017, on a envie d’y croire, mais il faut qu’il fasse un geste », confie Kader Arif, député de la Haute-Garonne. Comprendre : un coup de barre à gauche. D’autres suggèrent au chef de l’Etat de s’engager sur quelques mesures fortes pour l’avenir, comme le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, qui prône un big bang institutionnel, une redynamisation du couple franco-allemand en Europe et des mesures pour lutter contre les discriminations.

Hollande joue gros

M. Hollande a passé ces derniers jours à préparer son intervention. Plusieurs réunions se sont tenues à l’Elysée avec son cabinet, ainsi qu’avec plusieurs poids lourds du gouvernement et du PS. Différents ministres ont été chargés de lui préparer des notes sur la sécurité, les questions sociales et économiques ou la situation de la jeunesse. « Hollande consulte beaucoup, écoute plein de monde, mais ne dit rien. En réalité, comme d’habitude, il prépare tout tout seul », dit en souriant l’un des participants à ces réunions.

L’enjeu est grand pour le chef de l’Etat. Dans la situation actuelle, qui ressemble autant à un champ de ruines politiques qu’à un puzzle éclaté, M. Hollande sait qu’il joue gros. Son engagement à faire baisser le chômage est toujours un échec, la menace du FN ne recule pas, le risque terroriste demeure et le mouvement Nuit debout, certes limité mais de plus en plus installé et fortement médiatisé, montre chaque jour la défiance du pays, où la colère monte, y compris et surtout parmi les électeurs déçus du président en 2012. Au-delà des très mauvais sondages (huit Français sur dix ne souhaitent pas que François Hollande soit candidat en 2017, selon un sondage IFOP publié dans Le JDD du 10 avril), c’est sa relation aux Français qu’il semble devoir reconstruire.

Huit Français sur dix ne souhaitent pas que François Hollande soit candidat en 2017

Huit Français sur dix ne souhaitent pas que François Hollande soit candidat à la prochaine élection présidentielle, selon un sondage* IFOP publié dans Le Journal du dimanche du 10 avril. Cinquante-quatre pour cent des personnes interrogées ne le veulent « pas du tout » et 26 % « plutôt pas ». Six pour cent disent en revanche vouloir « tout à fait » que le chef de l’Etat brigue un nouveau mandat, et 14 % y sont « plutôt » favorables.

Tonalité politique. Parmi les sondés proches du Parti socialiste, 53 % sont hostiles à la participation du président de la République à l’élection de 2017. Ils sont 91 % chez les sympathisants des Républicains et 89 % chez ceux du Front national à penser de même.

Catégories socioprofessionnelles. La majorité des artisans et commerçants s’oppose à une candidature de M. Hollande (86 %).

Régions. Quatre-vingt-huit pour cent des sondés du Nord-Est montrent leur aversion à l’idée de voir le chef de l’Etat briguer un autre mandat.

Niveau d’études. Quatre-vingt-trois pour cent des titulaires d’un diplôme de niveau bac + 2 font par de leur défiance à l’égard du président de la République.

A la question « Pensez-vous que François Hollande sera candidat à la prochaine élection présidentielle ? », 67 % des sondés ont répondu « oui » (52 % « oui probablement » et 15 % « oui certainement »), et 33 % sont d’un avis opposé (10 % « non certainement pas » et 23 % « non probablement pas »).

Enfin, si M. Hollande n’était pas candidat à sa propre succession, c’est Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, qui dispose du plus gros potentiel électoral (34 %) parmi les personnalités de gauche, selon les personnes interrogées. Il arrive devant Manuel Valls, le premier ministre (28 %), Nicolas Hulot (26 %), Martine Aubry (25 %), Jean-Luc Mélenchon (22 %), Arnaud Montebourg (16 %) et Cécile Duflot (10 %).

* Sondage mené selon la méthode des quotas, du 7 au 8 avril par Internet, auprès d’un échantillon de 991 personnes âgées de plus de 18 ans représentatif de la population française.

D’autant qu’au sein même du gouvernement Emmanuel Macron continue sa chanson de geste. Le ministre de l’économie ne sera pas devant sa télévision jeudi soir : au même moment, il est censé être à Londres pour dîner avec des banquiers et lever des fonds pour son nouveau mouvement, En marche !. L’Elysée tente, tant bien que mal, de se persuader que le jeune patron de Bercy est sous contrôle, mais plusieurs socialistes craignent qu’il ne s’autonomise définitivement et n’échappe à M. Hollande. « Il faut qu’il montre à la télé que c’est lui le patron et que, quand il le décidera, Macron rentrera dans le rang », juge un pilier de la majorité.

Outre le cas du ministre de l’économie, c’est surtout contre l’impression de désorganisation de ses troupes que doit lutter le chef de l’Etat. « Hollande a intérêt à être très bon et à casser la baraque. Tout n’est pas encore perdu, mais le temps presse pour stopper le bordel général », prévient un député PS. A l’Elysée, on convient que l’opération de reconquête doit être menée « d’ici à l’été », en tout cas avant la rentrée de septembre et le lancement officiel de la campagne de la primaire de la droite.

En plus de l’émission sur France 2, le chef de l’Etat va donc multiplier les déplacements et les prises de parole dans les prochaines semaines : une intervention sur une radio est déjà dans les tuyaux, comme une conférence de presse, ainsi que de nouvelles visites de terrain dans « la France qui gagne ». « Il ne faut pas croire qu’une émission télé va tout changer, il faut semer, et puis ensuite récolter », estime Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS. En espérant que le temps de la moisson arrive avant 2017.