"Placé en arrêt maladie durant six mois, Frédéric Desnard est licencié pour absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise de façon importante et durable, et obligeant l’employeur à pourvoir à son remplacement définitif et total." | JOE RAEDLE/AFP

En mars 2014, Frédéric Desnard, 44 ans, est au volant de sa voiture lorsqu’il fait une crise d’épilepsie, provoquant un accident. Aujourd’hui, il en est persuadé : « J’ai fait un bore-out à cause de mes conditions de travail. » Il poursuit son ex-employeur aux prud’hommes, dans ce qu’il voudrait être le « premier procès du bore-out en France ». Une allégation formellement contestée par son ex-entreprise.

Pour bien comprendre, un retour en arrière s’impose. Frédéric Desnard travaillait pour l’entreprise française Interparfums, spécialisée dans la conception et la distribution de parfums sous licence, comme responsable des services généraux. « J’étais M. Solutions, de la réparation de la lampe grillée à la supervision de certains contrats ou des dépenses de voyage », explique-t-il. En 2010, la plus grande marque du portefeuille annonce qu’elle va mettre fin à son contrat avec l’entreprise, « ce qui a généré des crispations et inquiétudes », assure Frédéric Desnard.

« J’ai eu beaucoup moins de tâches à faire car les assistantes de direction qui me confiaient auparavant des missions ont commencé à préférer les faire elles-mêmes. Chacun essayait de justifier l’importance de son poste. » Frédéric Desnard serait alors passé de journées bien remplies à « entre 20 et 40 minutes de boulot effectif par jour ».

Arrêt maladie durant six mois

Une situation qui l’aurait plongé dans un état de « lassitude extrême ». « Je n’avais plus l’énergie de rien. Je ressentais un sentiment de culpabilité et de honte de percevoir un salaire pour rien. J’avais l’impression d’être transparent dans l’entreprise. » Jusqu’à sa crise d’épilepsie et son accident en 2014.

Placé en arrêt maladie durant six mois, Frédéric Desnard est licencié pour absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise de façon importante et durable, et obligeant l’employeur à pourvoir à son remplacement définitif et total.

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« Nous demandons la nullité du licenciement car, pour nous, le motif est directement lié à l’état de santé du salarié que l’employeur a provoqué, et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse car la situation est née de l’employeur qui s’est évertué au fur et à mesure à lui retirer des tâches pour, au final, le laisser venir au bureau pour se tourner les pouces », détaille son avocat, Me Montasser Charni.

En droit du travail, une longue absence d’origine non professionnelle peut générer un licenciement pour désorganisation durable du bon fonctionnement de l’entreprise qui en résulte. Pour une absence d’origine professionnelle, c’est plus compliqué. Frédéric Desnard et son avocat veulent donc démontrer un lien entre la situation d’ennui au travail, un supposé « bore-out », et la crise d’épilepsie ayant entraîné l’arrêt maladie.

Seul son médecin traitant

De plus, Me Charni conteste la désorganisation de l’entreprise : « L’employeur a confié la gestion des services généraux à une salariée déjà à plein-temps. Cela montre qu’il n’y avait pas de tâches, donc pas de nécessité de remplacement. »

Contactée, la société Interparfums conteste formellement les allégations de Frédéric Desnard : « Aucune juridiction ni organisme compétent n’a établi de lien entre son état de santé et sa situation professionnelle au sein de l’entreprise, explique-t-on. Frédéric Desnard vient d’ailleurs d’être condamné pour diffamation non publique par le tribunal de police de Paris qui a reconnu sa mauvaise foi en précisant que ses accusations étaient inspirées par le ressentiment et l’animosité personnelle destinée à nuire à son ancien employeur”. »

La société Interparfums conteste le fait que le litige porte sur le bore-out. Dans une lettre adressée au Monde, elle précise : « Aucun organisme de quelque nature que ce soit (Sécurité sociale, CPAM, Tribunal des affaires de sécurité sociale) n’a considéré à ce stade de la procédure que M. Desnard avait fait un bore-out comme il le prétend aujourd’hui ; seul son médecin traitant a retenu cette hypothèse sans que son analyse ne présente une quelconque valeur juridique. »

Tout l’enjeu est donc de voir si les conseillers des prud’hommes reconnaîtront une responsabilité professionnelle de l’entreprise dans l’état de santé de Frédéric Desnard. Ce qui semble difficile à imaginer, le bore-out étant un concept encore moins reconnu que le burn-out (lui-même pour l’instant non reconnu comme maladie d’origine professionnelle).

Qu’importe, Frédéric Desnard semble avoir la volonté d’incarner le combat de la reconnaissance du bore-out en France. Le procès aux prud’hommes s’est tenu lundi 2 mai. Le plaignant a réclamé 150 000 euros en réparation du préjudice moral, 200 000 euros pour nullité du licenciement et 8 000 euros pour le paiement du préavis. La décision sera rendue le 27 juillet.