Violences à Mayotte : 85 véhicules saccagés en une nuit
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Barrages routiers, arbres arrachés, jets de pierres et voitures endommagées : la pression monte à Mayotte, où une grève générale paralyse l’activité économique depuis deux semaines, et se double depuis lundi de violences entre bandes de jeunes dans la capitale Mamoudzou. Deux mouvements qui expriment de manière différente l’exaspération des 220 000 Mahorais.

1. Deux semaines de grève générale

L’île de Mayotte, située dans l’océan Indien, à 8 000 kilomètres de Paris, est quasiment paralysée depuis le 30 mars par une grève générale lancée par une intersyndicale (CGT, FSU, UD FO, l’UIR CFDT, SAEM, SNUipp et Solidaires) qui fait suite à un mouvement entamé en novembre et suspendu à cause de l’état d’urgence.

Les principaux axes routiers sont bloqués chaque jour par des barrages qui ralentissent l’activité économique, vident les supermarchés et perturbent la tenue de certains examens. Des manifestations ont rassemblé plusieurs centaines de personnes, et le mouvement a reçu le soutien des élus du conseil départemental.

2. Une revendication, l’« égalité réelle »

Le mouvement réclame l’« égalité réelle » entre Mayotte et la métropole. L’île a choisi en 1976 de rester française, alors que le reste des Comores accédait à l’indépendance, et est officiellement devenue le 101e département en mars 2011. Toutefois, elle ne jouit pas encore totalement des mêmes droits que les autres territoires français dans plusieurs domaines.

Le code du travail. Aujourd’hui, le code du travail qui s’applique à Mayotte n’intègre qu’environ 25 % de la législation française. Les textes doivent être harmonisés progressivement jusqu’en 2017, comme le détaille Legifrance. Ainsi, la durée hebdomadaire du travail à Mayotte est toujours de 39 heures (contre 35 heures dans l’Hexagone), et le recours à l’intérim n’est pas possible.

Les prestations sociales. Les allocations familiales, logement ou retraite ne sont pas calculées de la même façon qu’en France métropolitaine et ont des montants bien inférieurs, même si elles sont revalorisées progressivement. Ainsi, le RSA socle que reçoivent les Mahorais ne représente que 50 % du montant versé dans l’Hexagone (268,08 euros par mois contre 524,68 euros dans l’Hexagone), et il n’était que de 25 % en 2012.

Les infrastructures publiques. Un rapport du député Victorin Lurel sur l’égalité en outre-Mer pointe le manque de routes, de production d’énergie ou d’établissements sanitaires et scolaires. Les grévistes réclament d’urgence la construction d’écoles, ainsi que des mesures contre l’insécurité. Ils sont les premiers à dénoncer les dérapages violents qui se sont produits depuis lundi.

3. Des violences urbaines à Mamoudzou

Dans la nuit de lundi à mardi, des émeutes ont en effet éclaté dans la capitale mahoraise, après des rivalités entre bandes de deux villages (Doujani et Cavani). Des groupes de jeunes cagoulés ont saccagé habitations et voitures. Les violences se sont poursuivies mardi et mercredi, au point que le ministère de l’intérieur décide l’envoi de renforts venus de métropole.

« Hier, une centaine de jeunes, dont certains n’ont que 12 ou 13 ans, se baladaient dans les rues armés de longs couteaux, de haches et de sacs remplis de pierres, témoigne Olivier Loyens, rédacteur en chef de Mayotte Hebdo, joint par Le Monde. Les habitants ont peur mais aussi un sentiment de révolte, et s’organisent pour se défendre eux-mêmes, car la police et la gendarmerie sont en sous-effectif. »

La ministre de l’outre-mer George Pau-Langevin a tenu mercredi à faire la distinction entre « Plusieurs éléments [qui] se superposent : un mouvement social de revendications », et « à côté, les comportements de certains jeunes, à la dérive, qui ne sont pas encadrés et n’ont pas de perspectives ».

« La violence latente ne demande rien qu’un moindre mouvement social se manifeste pour exploser », a réagi par communiqué le grand cadi de Mayotte, juge musulman représentant l’ancien droit local, qui réclame des assises de la sécurité dans le département.

4. Pauvreté, illettrisme, migrants : de nombreux défis

De nombreux indicateurs économiques montrent que l’« égalité réelle » est très loin d’être atteinte entre Mayotte et la France métropolitaine, comme l’indique le rapport Lurel. Il y a même un écart très important entre Mayotte et les autres départements d’outre-mer, à commencer par le plus proche, La Réunion, également situé dans l’océan Indien.

Le chômage touche 19 % de la population active et 61 % des 15-24 ans, et plus de 27,6 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. L’indice de développement humain, qui regroupe des indicateurs de richesse, d’éducation et de santé place Mayotte à la 107e position alors que la France est 20e. Selon l’économiste Olivier Sudrie, avec un taux de croissance de 4,5 % par an, il faudrait 33 ans à Mayotte pour “converger” vers le niveau de l’Hexagone.

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Mayotte est aussi confrontée à une très forte immigration clandestine. Les migrants arrivent des autres îles des Comores dans des barques de pêcheurs appelés des « kwassas-kwassas », au prix de naufrages fréquents. De nombreux mineurs et femmes enceintes tentent la traversée. Ces dernières espèrent accoucher à Mayotte pour que leur enfant soit français. En 2014, près de 20 000 migrants ont été reconduits à la frontière. Le nombre de clandestins est par définition difficile à estimer, mais il se compte en dizaines de milliers, pour 220 000 habitants. « A cause de l’immigration clandestine, Mayotte compte environ 6 000 mineurs isolés, non scolarisés, qui doivent se débrouiller tout seuls, explique Olivier Loyens. On peut penser qu’ils font partie des jeunes qui ont provoqué les émeutes. »