Des soldats, lors de l'hommage à l’escadrille La Fayette, mercredi 20 mars, à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine). | ELLIOTT VERDIER / AFP

« Pour nos deux pays, tout a commencé ici, dit le général David Goldfein, vice-chef d’état-major de l’armée de l’air américaine. Nous revenons à nos racines communes, nous, les aviateurs.» Tandis que ses pilotes bombardent l’ennemi djihadiste de la Libye jusqu’en Irak, il est venu se recueillir avec gravité, mercredi 20 avril, au mémorial de Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine), où reposent soixante-six aviateurs américains. L’on y commémorait le centenaire de la mythique escadrille La Fayette.

Au printemps 1916, alors que les Etats-Unis n’étaient pas encore entrés en guerre, trente-huit volontaires ont traversé l’Atlantique pour Paris, se sont engagés promptement dans la Légion, ont rejoint la base aérienne de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) et trouvé là deux officiers français, Georges Thenault et Alfred de Laage de Meux, prêts à en découdre. L’as des as de l’escadrille La Fayette, Raoul Lufbery, a abattu son premier avion allemand le 31 juillet 1916, au-dessus d’Etain, dans la Meuse, avant d’engranger dix-sept victoires. Son camarade Eugene Bullard fut le premier noir américain pilote de chasse et il poursuivra son engagement militaire dans l’armée française en 1940, après s’être fait refuser l’accès à l’armée de son pays, pour des raisons de discrimination raciale.

Incantation indienne

Français et Américains n’ont plus cessé de voler ensemble

Ils avaient vingt ans et avaient choisi de placer sur leurs biplans une tête de Sioux pour emblème. Cent ans plus tard, une incantation traditionnelle indienne a résonné dans l’air vif du parc du Mémorial, avant que le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, puis son homologue pour l’armée de l’air américaine, Deborah Lee James, n’invoquent la mémoire commune.

« J’ai utilisé le nom de Lufbery durant toute ma carrière de pilote », confie le général Goldfein, « et me tenir aujourd’hui devant la crypte dans laquelle repose Raoul Lufbery est comme une expérience religieuse. Ce sont eux qui nous ont appris à voler. » Le patron de l’US Air force est fils d’aviateur. Né en France, sur la base américaine de Couvron, dans l’Aisne, il a volé sur un F16, entre autres. Pour la cérémonie, un petit biplan, un Rafale, mais encore des F22 Raptor, des chasseurs-bombardiers lourds américains de dernière génération au grondement terrifiant, ont survolé la foule. « La technologie change, mais les fondamentaux restent les mêmes », estime le général.

Depuis le premier conflit mondial, qui a vu l’émergence de l’arme aérienne, Français et Américains n’ont plus cessé de voler ensemble. « Il existe beaucoup de pays dans le monde qui affichent de grandes intentions, mais il n’y en a que quelques-uns parmi eux qui agissent en fonction. Nos deux pays partagent ce lien commun, celui d’agir en accord avec leurs intentions », explique le général. Depuis les opérations dans les Balkans, mais surtout en Afghanistan, en Libye, et désormais en Irak et en Syrie, l’interopérabilité des deux forces aériennes est totale. « Il y a un facteur de fiabilité, que nous partageons, dans notre relation, et aujourd’hui, tandis que nous nous parlons, Américains et Français combattent côte à côte. Cela va continuer ».

« Un avantage asymétrique »

« La prière du pilote était : “Dieu, permets-moi de trouver ma cible.” »

Contre les djihadistes d’Al-Qaida ou de l’organisation Etat islamique (EI), les campagnes aériennes sont devenues un instrument privilégié des gouvernants. « L’arme aérienne permet aux nations de projeter de la puissance sans vulnérabilité », souligne le général Goldfein. « Nous construisons des coalitions en quelques heures ou quelques jours, plus rapidement que dans les autres dimensions », terrestre ou maritime. Dans le combat contre l’extrémisme armé, assure le haut gradé, les armées de l’air « apportent un avantage asymétrique » en étant capables de franchir de grandes distances très vite, de combiner la délivrance du feu et le « soft power » de l’assistance aux populations en cas de crise humanitaire.

Le travail en commun comporte quelques aléas. Le partage de l’information n’est pas toujours parfait. « Le futur des opérations aériennes sera basé sur notre capacité à bâtir ensemble des centres de commandement et de contrôle “coalition friendly”, intégrant toutes les armes, ensemble ». Le dernier mot reviendra évidemment à la clairvoyance politique. « Quand j’ai commencé ma carrière au combat dans “Desert Storm” [l’opération de libération du Koweit en 1991] la prière du pilote était : “Dieu, permets-moi de trouver ma cible.” Aujourd’hui, avec des munitions toujours plus précises, capables de frapper nuit et jour par tout temps, la prière est devenue : “Dieu permets-moi de trouver la bonne cible, car je peux tout frapper.” » En découle selon cet aviateur la qualité commune des héritiers de La Fayette : la capacité à penser au-delà du confinement de leur cockpit.