Il fut le dernier félicité par Mme Clotilde Valter, secrétaire d’Etat chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sur la scène du Grand Rex lors de la cérémonie des Rabelais des jeunes talents. Ils récompensent 33 jeunes qui se sont distingués dans les métiers de bouche : boulanger, charcutier, épicier, etc. Ibrahim Khalil, 20 ans, est apprenti cuisinier, en dernière année de bac pro à Médéric. 50 % de cours et 50 % de stage en entreprise au Café de l’Homme, la brasserie chic du Trocadéro. Il est également « un des meilleurs apprentis cuisiniers de France » parmi les sept de la promotion 2015 de ce concours organisé par l’association des Meilleurs ouvriers de France (MOF).

Ibrahim Khalil lors de la cérémonie des Rabelais des jeunes talents, le 14 mars 2016. | alexgiraud.com

Khalil est arrivé en France le 27 avril 2012, en provenance du Bangladesh. « Je suis né à Comilla, un village à mi-chemin entra Dacca et Chittagong. Mon père est professeur retraité. Comme tout le monde, nous avons un petit lopin de terre, nous élevons un peu de poisson mais au Bangladesh, il y a des soucis… » C’est pour échapper à ces « soucis » qu’en 2012, Khalil a pris la route des migrants. Seul, à 17 ans et demi, aux mains des passeurs qui ont empoché au passage plus de 10 000 euros. « Mes parents étaient d’accord. Le voyage a pris un mois et demi. C’était dur. Il y a des moments dont on ne veut pas se souvenir. Je préfère penser à un avenir meilleur. »

L’Europe était la première destination. Pourquoi la France ? « A cette époque, les Bangladais pouvaient demander l’asile politique en France. Les passeurs conseillaient d’y aller, car c’était plus facile pour les papiers. » De plus, le garçon est mineur, ce qui était encore un avantage voici quelques années. Lorsqu’il arrive à Paris, sans parler un mot de français, avec comme seul document d’identité une copie de son acte de naissance, Khalil se présente à la Croix-Rouge. Elle le prendra en charge, lui assurant un hébergement en foyer et le remettant dans le circuit éducatif. Il passe avec succès tous les tests de niveau scolaire. Lycée Gustave Monod à Enghien-les-Bains puis le CFA Médéric. Aujourd’hui, il parle parfaitement le français mais n’a toujours pas goûté le camembert.

« J’ai été invité et félicité à l’Ambassade du Bangladesh où l’on s’est déclaré fier de moi »

« La nourriture, c’était un peu la catastrophe au début. Déjà, durant le voyage, c’était difficile. Mon premier repas à la cantine, c’était des lasagnes avec de la salade. Je n’ai pas pu, alors je me suis gavé avec le pain. A partir du moment où tu as faim, tu es bien obligé de manger. » Khalil a découvert la gastronomie française grâce à la télévision et Internet. Même s’il reste toujours fâché avec la salade d’endives au roquefort, il a vite appris à la connaître et s’avère un excellent partenaire de table à Gare au Gorille, un bistrot du 17e arrondissement ouvert par d’anciens de Septime et qui gagne à être connu (menu à 27 € le midi avec deux entrées, poisson ou viande, fromage ou dessert. Vins au verre à 5-8 €). Il fera l’impasse sur le lardo di colonnata qui accompagne les légumes à la grecque à l’ail des ours. « Etant musulman, je ne mange pas de porc mais en cours ou au restaurant, je goûte tout. C’est mon métier. Goûter n’est pas manger et c’est fondamental pour un cuisinier. »

Ces titres de Meilleur apprenti de France et Rabelais des jeunes talents lui ont changé la vie. « J’ai été invité et félicité à l’Ambassade du Bangladesh où l’on s’est déclaré fier de moi. » Il a également été sollicité pour « Top Chef » mais « ce n’est pas mon truc. La télé-réalité et la réalité, ce n’est pas pareil ». Il va poursuivre ses études en vue d’un BTS plutôt que de choisir une spécialité (pâtisserie, traiteur, etc.) « car si un jour, j’ai envie de monter un restaurant, ça m’aidera plus ». Il en a bien sûr envie Khalil, ne serait-ce que pour marier les épices de son pays (qui lui manquent) avec les produits d’ici. Ce jour-là, un jeune garçon venu du Bangladesh les mains dans les poches démontrera une fois de plus que la cuisine est un excellent vecteur d’intégration, comme ne cesse de le répéter Thierry Marx.

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Gare au Gorille, 68, rue des Dames, Paris 17e. Tél. : 01-42-94-24-02. Fermé les samedis et dimanches.

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