Occupation du Théâtre national de Strasbourg, le 27 avril. | FREDERICK FLORIN / AFP

Artistes, techniciens, ouvriers… les intermittents du spectacle sont plus de 250 000 en France et bénéficient d’un statut à part, dû au caractère souvent fragmenté de leur activité. Dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs sont arrivés à un accord sur ce régime d’assurance-chômage spécifique. Régulièrement critiqué pour son coût, perçu comme trop généreux, ce régime recouvre des situations éparses.

« Le ressentiment de la société à notre égard m’inquiète de plus en plus », écrit Nicolas T., un technicien de 36 ans qui a répondu à l’appel à témoignages lancé sur Le Monde.fr. Il ne comprend pas que les intermittents soient perçus comme « une classe de rigolos paresseux et privilégiés ». Il liste ainsi « les contrats très courts, l’insécurité liée aux projets, les journées à rallonge ainsi que toutes les heures (non payées) que nous sommes prêts à faire pour donner un coup de main à gauche et à droite, quand le budget d’un film ou d’une pièce ne suffit pas ».

« Depuis vingt-sept ans, je vis dans l’incertitude de l’avenir », renchérit Marc D., artiste lyrique. Certes, « pour rien au monde » il n’exercerait une autre activité car « c’est un métier de vocation » mais qui implique aussi d’importantes concessions. « Je n’ai pas de maison, pas de voiture et bien entendu, pas d’économies », confie-t-il, résumant : « Allez demander un prêt à un banquier, quand personne n’est capable de dire si vous aurez un revenu dans dix-huit mois (...). A 54 ans, on peut rêver mieux. »

« La réalité brutale » de la « précarité »

Julien M., un technicien de 52 ans, raconte avoir perdu son statut « pour dix heures manquantes » sur les 507 heures à déclarer pour l’ouverture des droits à l’indemnisation (sur dix mois jusqu’à présent, sur douze mois après l’accord de jeudi). « Je me suis retrouvé sans revenus pendant six mois et suis devenu ripeur [éboueur qui travaille à l’arrière d’un camion-poubelle] », poursuit-il, soulignant la « réalité brutale » de la « précarité » des métiers du spectacle. Patrick, 57 ans, musicien, affirme « rester environ quatre mois par an sans rien toucher » – et encore « les bonnes années ! », souligne-t-il, car il n’arrive pas toujours à atteindre le nombre d’heures nécessaires. « J’ai un revenu inférieur au smic même avec des allocs. »

Etre intermittent, « c’est une précarité confortable », synthétise Greg, monteur audiovisuel de 40 ans : « Si on a le statut, on peut être bien, voire très bien. Si on le perd, les choses peuvent s’enchaîner très vite. »

Alors, paresseux les intermittents ? Ce serait plutôt tout le contraire selon Marc L., 35 ans, musicien et producteur de musique électronique. « Si je fais le compte à l’année, je dirais que je travaille un minimum de 45 heures par semaine, mais seulement 12 heures sont effectivement payées », écrit-il, racontant les semaines en studio et les nombreux week-ends passés sur les routes, « souvent deux jours de déplacement pour une ou deux heures de concert ».

« Ne touchez pas au système »

Olry C., technicien lumière, rapporte les nombreux abus qu’il observe, évoque « des salariés à plein temps dans des entreprises (y compris publiques) » qui sont « déclarés comme intermittents alors qu’il n’en est rien ». Un graphiste strasbourgeois confirme, et cite l’exemple d’une société employant sous le régime de l’intermittence des gens « qui bossent pour [elle] depuis quinze ans ». « Des milliers de CDD illégaux », s’emporte-t-il.

Tout repose en fait sur la « passion » du métier. Sans elle, « j’aurais déjà raccroché », écrit Sophia A., technicienne et marionnetiste de 37 ans, qui défend l’émulation culturelle caractérisant selon elle la France : « La culture, c’est de la vitamine C, elle booste, énergise, enlève les tensions (...) ». « Partir surexcité en tournage à l’autre bout du monde et rentrer pour écrire le scénario d’un film qui ne verra peut-être pas le jour, c’est le plus beau métier du monde, non ? », s’amuse Antoine P., 32 ans, après avoir détaillé toutes les raisons de « s’arracher les cheveux » à cause du régime.

Beaucoup de nos lecteurs ayant envoyé leur témoignage adressent un plaidoyer en faveur de cette spécificité française. « Si vous voulez maintenir le spectacle accessible à tous, ne touchez pas au système des intermittents », lance Fedora W., dramaturge, sous peine d’avoir « des prix flamboyants pour les billets d’entrée ». Ce régime « est une des rares choses dont la France doit être fière, car il permet aux gens du spectacle de survivre entre deux engagements », ajoute-t-elle.

« Etre acteur implique d’accepter la précarité »

« Sans l’intermittence, je n’aurais jamais pu rester dans le monde de la musique, éléver mes deux enfants et continuer à vivre dignement », commente Viviana A., musicienne. Pour elle, « c’est un choix de société que d’avoir des artistes pouvant vivre de leur art » et c’est « un choix de liberté que de faire en sorte qu’ils puissent exercer leur métier au-delà du “star système et du vedettariat des puissants »

Quelques intermittents ne voient pas d’un très bon œil le mouvement de ces derniers jours, qui s’est manifesté par l’occupation de théâtres, dont celui de l’Odéon et la Comédie-Française, à Paris. « Etre acteur, vouloir le devenir, implique d’accepter la précarité. Que l’on soit technicien ou artiste-interprète, on ne peut réclamer des avantages particuliers au prétexte que notre métier est plus aléatoire que d’autres », souligne Laurent A., comédien, qui voit dans la contestation de « l’immaturité » et de la « confusion ».

Le mouvement « pénalise nos premiers supports », estime pour sa part un comédien et chanteur de 31 ans demandant à rester anonyme : « On se met les spectateurs à dos en faisant grève alors que nous devrions nous allier à eux pour garantir leur soutien face au cassage en règle du statut. »