Le diplomate Nikolaï Mladenov lors d'une conférence de presse à Gaza, le 30 avril 2015. | MAHMUD HAMS / AFP

Après plusieurs mois de calme plat, un regain d’activité diplomatique est noté sur le conflit israélo-palestinien, dans une atmosphère de pessimisme généralisé. Côté palestinien, on tente de promouvoir à l’ONU une résolution condamnant la colonisation israélienne. La France, elle, souhaite qu’un groupe d’une quinzaine de pays clés se mobilise, à travers une série de conférences, pour relancer les efforts de paix. Coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient depuis l’automne 2015, le Bulgare Nikolaï Mladenov est un diplomate expérimenté. Recevant Le Monde à Jérusalem, il prône une approche réaliste pour sauver la solution à deux Etats.

Un peu plus de six mois après votre arrivée, quel état des lieux faites-vous ?

Il y a eu une vague d’attaques, d’agressions au couteau. Globalement, sur le terrain, règne un calme trompeur. La coordination sécuritaire se poursuit en Cisjordanie avec les Israéliens. Le cessez-le-feu est respecté à Gaza. Mais je suis inquiet : sous le calme trompeur, ça bout. Il y a une perte d’espoir de part et d’autre. On croit de moins en moins dans la pertinence des négociations et dans la possibilité d’une solution à deux Etats. Chacun avance dans une direction opposée. On parle moins de réalisations communes entre Israéliens et Palestiniens, et plus de séparation. Quand l’espoir est perdu et que la colère monte, il y a un phénomène de radicalisation. Ici, il implique un risque de violences.

Le deuxième aspect est l’incapacité à sortir de l’impasse politique. Personne ne m’a convaincu qu’il existait une alternative à la solution deux Etats. Différentes idées circulent sur le plan international, sur la meilleure façon d’agir. Mais, globalement, l’attention a baissé. C’est en partie compréhensible, vu les autres problèmes, en Syrie, en Libye ou au Yémen. Cela contribue au sentiment d’abandon, en particulier chez les Palestiniens, plus vulnérables.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se disent tous deux prêts à négocier dans la seconde, mais rien ne se passe…

Les deux côtés ont des limitations politiques très sévères sur ce qu’ils peuvent négocier et, surtout, accepter. Le plus pertinent est de se concentrer sur la situation réelle, sur le terrain. Chaque jour qui passe, la solution à deux Etats paraît moins réaliste. Côté israélien, les colonies s’étendent en Cisjordanie, il y a une accélération des démolitions d’habitations palestiniennes. Depuis le début de cette année, en trois mois, il y a eu 590 structures démolies, contre 547 pour toute l’année 2015. A cela s’ajoute le classement de parcelles palestiniennes en terres d’Etat.

Côté palestinien, les autorités légitimes à Ramallah n’ont aucun contrôle sur la bande de Gaza. Le processus de réconciliation [entre le Hamas et le Fatah, la formation du président Abbas] est au point mort. A cela s’ajoutent les violences et les incitations à la violence qui doivent être combattues dans les deux sociétés. Si l’on veut des négociations concluantes, il faut affronter toutes ces questions. Cela passe notamment par l’amélioration de la vie des gens, un renforcement des institutions palestiniennes, une plus grande ouverture aux projets de construction en zone C.

Mais les communiqués de condamnation de la colonisation s’accumulent, sans conséquence. Comment l’expliquez-vous ?

Le plus grand problème de la communauté internationale est qu’elle se détourne de ces questions. Son attention est limitée. J’espère que le Quartet [UE, Etats-Unis, Russie et ONU] va recentrer la discussion. Ces six derniers mois, le Quartet a parlé plus intensément que jamais dans le passé des pas à entreprendre, avec les deux parties. On va aller plus loin. On prépare un document commun, qui sera publié dans les prochains mois. Il va se concentrer sur la situation sur le terrain et sur les recommandations pour avancer.

Le glissement de calendrier de l’initiative diplomatique française, visant à mobiliser un groupe de soutien international pour la paix, est paraît-il dû à l’attente de ce rapport…

On souhaite que le rapport soit publié dès que possible. J’espère qu’il s’alignera avec l’initiative française. Dans le meilleur des cas, les pays concernés se réuniront sur la base du rapport du Quartet, pour décider de la façon de le mettre en pratique et de créer des incitations pour les deux parties. La question n’est pas de savoir s’il faut être optimiste ou pessimiste, mais ce qu’on veut obtenir, avec réalisme. Les Français ont adopté à présent la bonne approche en adaptant leur proposition à la réalité sur le terrain. Ils sont bien plus concentrés sur ce qui est possible, et pas ce qui est désirable.

Vous avez publié un communiqué sévère sur l’exécution à Hébron d’un agresseur palestinien à terre par un soldat israélien, parlant d’acte « immoral » et « injuste ». Quelles conclusions tirez-vous de cet épisode ?

Il faut attendre les conclusions de l’enquête. Je suis surtout intéressé de voir ce que les forces armées vont mettre en place en matière de règlements, de procédures, pour éviter que cela ne se répète. Cet incident a capté beaucoup d’attention parce qu’il a été filmé. Tout le monde s’est excité à ce sujet. Aucune armée ne devrait faire cela. Il faut une réponse institutionnelle.

Existe-t-il un risque d’effondrement de l’Autorité palestinienne ?

Je ne vois pas de risque imminent. Mais l’Autorité palestinienne (AP) affronte des difficultés sur tous les fronts. Sur le plan financier, elle reçoit moins d’argent en 2016 qu’en 2015 des donateurs internationaux. Sur le plan sécuritaire, la coordination se trouve sous pression croissante. On entend constamment des responsables palestiniens se plaindre de leurs difficultés. Ils font un excellent boulot, dans le cadre de leurs limitations. Enfin, il y a Gaza, où l’AP est absente. Les fonctionnaires ne sont quasiment pas payés. Il y a le problème énergétique, la compagnie palestinienne ayant une grosse ardoise auprès de la compagnie israélienne.

Vous êtes souvent allé à Gaza ces derniers mois. Que veut le Hamas ?

Personne n’a d’intérêt à un nouveau conflit, à Gaza même comme en dehors. Il y a un fort investissement politique pour s’assurer de la stabilité du territoire. Chaque nouveau conflit est plus dévastateur que le précédent. L’équation aujourd’hui est de ne pas entraver la reconstruction en cours. Même si seulement 38 % des fonds promis par les donateurs au Caire [en octobre 2014] ont été versés, Gaza n’est plus le même qu’en 2015. Maintenant, il s’agit de passer de la reconstruction des habitations à celle des infrastructures critiques.

A l’heure où nous parlons, les habitants ne disposent que de quatre heures de courant par jour. Il y a un projet approuvé et des fonds pour une usine de dessalement. Mais il faut pour cela assez d’électricité. Il y a aussi un accord entre Israéliens et Palestiniens pour construire un pipeline gazier. Mais il faut convertir la centrale électrique pour qu’elle fonctionne au gaz. Tout cela prendra des années. Or il faut de l’électricité tout de suite. Les Israéliens retiennent les entrées de ciment pour les projets privés. Mais on espère que cela sera résolu dans les prochains jours.

Que pensez-vous des discussions au sujet d’un port offshore au large de Gaza ?

Concentrons-nous plutôt sur ce qui est réaliste aujourd’hui. Ouvrons le passage de Karny pour les biens, qui arriveraient plus vite à Gaza-ville et pour un coût moindre. Obtenons la levée des restrictions sur la liste des biens autorisés à l’import par les Israéliens, liée à l’usage potentiellement dual [civil et militaire] de ces biens. Les gens ont besoin de vraies solutions. Je ne cherche pas de gâteaux volant dans le ciel.