L’Australienne Karen Nettleton raconte dans un reportage diffusé en juin 2015 sur ABC (Australian Broadcasting Corporation) son combat désespéré pour retrouver ses petits-enfants abandonnés en Syrie. | Capture d'écran web / ABC

« Je reviendrai, je ne les laisserai pas là… Il faudra peut-être trois, quatre, cinq tentatives. Mais ne sous-estimez pas la détermination de la mamie que je suis. » Les Australiens commencent à bien la connaître, cette grand-mère, Karen Nettleton, qui refuse de se résigner. Ses cinq petits-enfants ainsi que le nourrisson de sa petite-fille de 14 ans se trouvent en Syrie depuis 2014, probablement à Rakka, la capitale de l’organisation Etat islamique (EI) dans le pays. Il y a quelques semaines, elle s’est rendue en Turquie afin d’aller elle-même les chercher, mais l’opération a échoué et elle a dû rentrer seule à Sydney début avril.

A 8 ans, on lui fait brandir une tête tranchée

De cette famille, les Australiens ne connaissent pas seulement la grand-mère. Son gendre, Khaled Sharrouf, est devenu, en août 2014, le plus célèbre des combattants australiens de l’EI. Ses photos diffusées sur Twitter ont horrifié le pays, notamment celle de son enfant de 8 ans brandissant la tête tranchée d’un officiel syrien. « Ça, c’est mon fils ! », écrivait-il fièrement en légende. « C’est la pire chose que j’ai vue dans ma vie », réagissait, en larmes, Karen Nettleton, sur la chaîne de télévision ABC (Australian Broadcasting Corporation). « Cet enfant est tellement adorable. Oui, adorable », priait-elle de croire les téléspectateurs. Mais Khaled Sharrouf a continué de faire poser ses fils, y compris le plus jeune, 3 ans à ce moment-là, en tenue de combattant, une arme à la main.

Australien d’origine libanaise, l’homme a épousé au début des années 2000 la fille unique de Karen Nettleton, Tara, qui était alors âgée de 15 ans et qui s’est convertie à l’islam. En 2013, grâce au passeport de son frère, Sharrouf quitte le pays pour aller combattre en Syrie, réussissant ainsi à déjouer les services de renseignement qui le surveillaient. Un an après, Tara et leurs cinq enfants s’envolent à leur tour, là encore sans être inquiétés. Voici la famille réunie en Syrie, au service de l’EI. A 13 ans, la fille aînée, Zaynab, épouse un combattant : il s’agirait d’un ami de son père, l’Australien Mohamed Elomar. Peu après, elle tombe enceinte.

Cinq enfants orphelins et un bébé

Depuis, son mari aurait été tué dans des frappes aériennes, tout comme son père. Mais le décès de Khaled Sharrouf, annoncé par de nombreux médias, n’a jamais été confirmé par les autorités australiennes. Il y a en revanche peu de doute sur la mort de Tara Nettleton : elle aurait péri en septembre 2015, à l’âge de 31 ans, suite à des complications après une opération de l’appendicite. Zaynab, 14 ans, Hoda, 13 ans, Abdullah, 11 ans, Zarqawi, 10 ans et Humzeh, 5 ans, les petits-enfants de Karen Nettleton, seraient donc livrés à eux-mêmes, sans parents, dans cette Syrie contrôlée par l’EI. Sans oublier le bébé de Zaynab, né il y a quatre mois.

« Il faudrait voir à quoi ces enfants ont été exposés et estimer s’ils représenteront une menace, tôt ou tard », Peter Dutton, ministre australien de l’immigration

Karen Nettleton a d’abord appelé le gouvernement australien à sauver ces enfants. En vain. Selon Canberra, une centaine d’Australiens ont rejoint l’EI ou d’autres groupes terroristes en Syrie et en Irak. La ministre des affaires étrangères, Julie Bishop, a décrit les enfants Sharrouf comme « des victimes de l’idéologie extrémiste de leurs parents », qui se trouvent « dans une zone de guerre malgré eux ». Mais, a ajouté la ministre, « en raison de la situation extrêmement dangereuse sur place », l’Australie « n’a pas la capacité de leur apporter une aide consulaire ». Pour son collègue chargé de l’immigration, Peter Dutton, s’ils devaient revenir dans le pays, « il faudrait voir à quoi ces enfants ont été exposés et estimer s’ils représenteront une menace, tôt ou tard ».

Face au refus du gouvernement, Karen Nettleton a décidé d’aller elle-même chercher ses petits-enfants. Avec son avocat, elle a pris l’avion mi-mars 2016 pour la Turquie. De là, elle devait se rendre en Syrie, mais elle a fini par renoncer. Son avocat a reproché au gouvernement de n’avoir été « d’aucune aide ».

Mme Nettleton a également accusé les médias. Un journal a en effet consacré sa « une » à son plan pour aller chercher ses petits-enfants et d’autres médias ont suivi. Cette couverture médiatique aurait fait peur à des personnes qui devaient aider Karen Nettleton et il lui a été conseillé de quitter la Turquie pour sa sécurité. « C’est horrible, a-t-elle déclaré à la chaîne ABC alors qu’elle s’apprêtait à quitter Ankara. J’imaginais les enfants occuper toute une rangée dans l’avion, Hamze arpenter le couloir, le bébé pleurer. Et maintenant, il n’y a que moi. » A son arrivée à Sydney, elle a été arrêtée par l’unité antiterroriste, qui l’a relâchée au bout d’une heure. Karen Nettleton assure qu’elle n’a pas dit son dernier mot.