Thomas Piquemal, ancien directeur financier d'EDF, à son arrivée à l'Assemblée nationale, mercredi 4 mai. | BENOIT TESSIER / REUTERS

« J’ai démissionné en désespoir de cause. En désespoir tout court. Je n’avais pas envie de quitter EDF. » Thomas Piquemal, l’ancien directeur financier de l’électricien français, a livré un témoignage édifiant, mercredi 4 mai, à l’Assemblée nationale.

Interrogé par la Commission des affaires économiques, l’ex-grand argentier du groupe public s’est pour la première fois expliqué publiquement sur les raisons de sa démission, le 1er mars. Des raisons personnelles, comme l’avait assuré le ministre de l’économie Emmanuel Macron ? Nullement, a affirmé M. Piquemal. En restant et en se taisant sur la situation d’EDF, « j’aurais commis une faute professionnelle », a-t-il déclaré. « Je n’avais pas le choix. »

Un pari énorme et risqué

L’ex-directeur financier a été clair : son départ a été provoqué par la décision du PDG Jean-Bernard Lévy de lancer le projet de réacteur nucléaire EPR à Hinkley Point, en Grande-Bretagne. Un « projet stratégique » pour l’entreprise, reconnaît M. Piquemal, mais qu’il souhaitait décaler de trois ans, jugeant impossible de lancer un investissement de 24 milliards d’euros de ce type alors qu’EDF se trouve déjà dans une situation délicate, en raison notamment de l’effondrement des prix de l’électricité en Europe. Cette chute des cours « change tout le modèle économique d’EDF », selon M. Piquemal.

EDF n’est certes pas en difficulté financière. Mais le groupe a lancé de nombreux investissements, en particulier dans l’EPR. « On arrive à fin 2015 à un montant considérable : 14 milliards d’euros ont déjà été investis dans cette technologie, soit 58 % des fonds propres » du groupe, a souligné M. Piquemal. Un pari énorme et risqué, dans la mesure où les projets en cours en Finlande et en France, à Flamanville (Manche), ont largement dérapé.

Dans ces conditions, « rajouter un projet d’EPR me paraissait impossible », a déclaré l’ancien dirigeant, qui avait été nommé à la tête de la direction financière d’EDF par Henri Proglio, l’ex-PDG du groupe. « Qui parierait 60 % ou 70 % de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne ? » A ses yeux, ajouter un tel risque au bilan d’EDF serait de la folie.

Jean-Bernard Lévy ayant refusé de reporter le projet britannique, le directeur financier a cherché plusieurs solutions pour rendre l’affaire jouable, a-t-il expliqué. La première consistait à trouver des partenaires prêts à partager cet investissement avec EDF. Mais après avoir fait le tour du monde, il est apparu qu’à part les Chinois, partenaires de longue date du groupe, « personne n’acceptait de prendre le risque EPR ».

L’augmentation de capital, point de rupture

M. Piquemal a alors suggéré de faire participer la filière nucléaire française elle-même à Hinkley Point, par exemple avec une société d’investissement associant Areva, qui aurait pu financer 10 % du projet. Mais cette piste n’a pas été retenue, pas plus que le projet de financement envisagé par M. Piquemal.

Restait une dernière solution : « un renforcement significatif des fonds propres ». C’est-à-dire une importante augmentation de capital, du type de celle de 4 milliards d’euros dont le principe vient d’être décidé par l’Etat. Mais à l’époque, le PDG d’EDF voulait aller très vite. Il entendait lancer le projet Hinkley Point dès janvier ou février 2016, sans garantie sur l’augmentation de capital évoquée. « Le renforcement des fonds propres était impossible dans le calendrier voulu par M. Lévy », selon M. Piquemal.

Ce sujet a constitué le point de rupture. Le directeur financier n’a pas « voulu cautionner une décision susceptible, en cas de problème, d’amener EDF dans une situation proche de celle d’Areva », avec une recapitalisation décidée en urgence « à quelques mois d’une cessation de paiements ».