Le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, et le président chinois, Xi Jinping, à Pékin le 12 avril. | POOL / REUTERS

Toujours en première ligne dans la coopération France-Chine, Jean-Pierre Raffarin s’est mué en ambassadeur de cette coopération à laquelle il convient maintenant d’ajouter l’Afrique. « Mais ce n’est pas un ménage à trois, prévient-il. Il s’agit de trois mariages à deux ! » La France, la Chine et le continent africain sont en effet engagés dans un partenariat novateur qui doit conduire à développer les investissements sur le continent dans les domaines des infrastructures, de l’énergie, de la santé ou encore de l’éducation. C’est en tout cas ce qui a été mis en avant au forum d’affaires de Pékin, le 12 avril.

« J’ai assisté à la plupart des entretiens entre les chefs d’Etat et de gouvernements français et chinois depuis une dizaine d’années, confie Jean-Pierre Raffarin. A chaque fois, cette approche trilatérale a été abordée. Il est donc important d’apporter une réflexion et d’entendre les autorités chinoises, les entreprises françaises et d’écouter les Africains. Les Africains reconnaissent à la France un rôle de médiateur de la culture et de l’Histoire et ils sentent bien qu’ils ont besoin de la France pour obtenir la confiance des Chinois. »

Risques d’instabilité

Dans ce trilogue, la confiance est en effet au cœur du débat. « Il faut gagner la confiance, lance l’ancien Premier ministre français. La Chine est de plus en plus mondialement concernée et responsable. C’est Xi Jinping qui se rend en Arabie saoudite et en Iran au moment de la crise. C’est lui encore qui augmente le contingent de ses casques bleus pour les opérations en Afrique… La Chine s’inquiète des risques d’instabilité en Afrique, mais aussi en Europe. Il y a une vision chinoise de l’Eurafrique, et pour les Chinois, la France en est certainement le meilleur partenaire. »

« A aucun moment nous ne devons être dans une logique de peur, précise Jean-Pierre Raffarin. Mais la confiance, c’est de la porcelaine comme disent les Chinois. Il ne faut pas l’ébrécher car elle ne se répare pas. La France est plutôt à l’aise dans ce rôle de médiateur de la confiance entre ces deux cultures complexes que sont l’Afrique et la Chine. Si le sommet de Dakar entre les premiers ministres français, chinois et africains peut se tenir dans un délai raisonnable, alors nous passerons ensuite à un stade opérationnel notamment dans la gouvernance du fonds. »

Le « Fonds sino-africains en pays tiers » retient en effet toutes les attentions. Il s’élèverait à deux milliards d’euros et permettrait de financer des projets communs sur le continent. Géré par la Caisse des Dépôts et Consignation, par le Trésor et par le Fonds souverain chinois, il serait basé certainement en Afrique. Peut-être à Dakar... « La Chine souhaitait un fonds beaucoup plus ambitieux, de l’ordre de 50 milliards d’euros, confie un représentant de la CDC. Mais les finances publiques françaises ne le permettaient pas. »

Les discussions patinent

Si le soutien des pouvoirs publics est évident, du côté du secteur privé en revanche, certains sont moins convaincus. Le groupe Bolloré notamment ne voit pas d’un bon œil l’arrivée des Chinois dans son jardin africain. Résultat, au Medef international, les discussions patinent même si « depuis dix-huit mois il y a beaucoup de réunions de haut niveau entre Français et Chinois sur cette coopération tripartite », explique Jean-Pascal Tricoire qui préside le Comité France-Chine en pointe sur ce dossier.

A la tête de Schneider Electric depuis 2006, ce grand patron passé par l’Afrique du Sud et Hong Kong, est un partisan de ce partenariat sino-français en Afrique. Il précise même avoir créé une équipe dédiée aux investissements Chine-Afrique.

« L’Afrique a d’énormes besoins dans les domaines des infrastructures, de l’agriculture, de la santé ou de l’énergie. C’est une véritable opportunité pour les entreprises françaises de profiter des financements chinois en Afrique. Mais il y a aussi des inquiétudes à travailler ensemble avec les risques potentiels de concurrence, prévient Jean-Pascal Tricoire. Les entreprises chinoises n’ont pas forcément les solutions qui répondent aux normes et aux attentes des pays africains. Il y a donc là une complémentarité évidente entre nous. »

« Ne pas s’endormir sur ses lauriers »

« C’est un bon début. Mais on sent bien que la France essaye surtout de ne pas perdre sa place en Afrique, assure JX Paulin, chef d’entreprise franco-togolais animateur de l’une des tables rondes de la journée. C’est vrai que la France reste incontournable en Afrique francophone, mais il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers et la jeunesse africaine se tourne de plus en plus vers les Etats-Unis et aussi vers la Chine. Il faut passer d’un paternalisme à une vraie relation gagnant-gagnant. »

« Il est important de privatiser la relation Chine-Afrique et donc intégrer davantage d’acteurs africains privés qui connaissent bien cette coopération, ajoute l’avocat Pierre Koffi Djemis, directeur du cabinet PKD. Il est crucial de ne pas manquer cette occasion car l’Afrique avance. J’ai bien peur que l’audace de la France soit limitée si elle ne prend pas plus en compte des acteurs africains qui changent et connaissent le monde. L’Afrique a maintenant beaucoup de partenaires et l’Afrique n’est plus limitée à la France. L’enjeu c’est l’Afrique et pas la coopération tripartite. »

Côté Chinois, le dossier est confié à la Commission nationale pour le développement et la réforme et le ministère du Commerce, très impliqués sur le continent. Mais la diplomatie chinoise s’y intéresse aussi de très près, passant du domaine purement économique au domaine politique. C’est Pékin qui a insisté pour organiser cette plateforme, première pierre à la mise en place de cette nouvelle coopération en Afrique.

« Chacun travaille encore dans son coin et construit sa propre politique, analyse un expert français en marge du forum. C’est une impasse dangereuse. Il n’y a pas de confiance véritable entre les acteurs. Il faut sortir rapidement de ces idées reçues. »

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.