Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon rencontre Ahmed Boukhari, représentant du Front Polisario auprès de l'organisation internationale, le 5 mars 2016, à Bir-Lahlou dans le territoire disputé du Sahara occidental. | AFP

Une franche colère. Encore une. Le déplacement du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon en zone contestée lors d’une tournée de travail sur le Sahara occidental et l’emploi du terme « occupation » lors de sa conférence de presse provoquent l’ire du gouvernement marocain. Dans un communiqué véhément, Rabat dénonce « les dérapages verbaux, les faits accomplis et les gestes de complaisance injustifiés » du diplomate sud-coréen.

Pour sa première visite dans la région, où une mission de maintien de la paix, la Minurso, est déployée depuis 1991, le secrétaire général de l’ONU ne s’est pas contenté de se rendre dans les camps de réfugiés près de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie). Ban Ki-Moon a aussi fait le déplacement en zone contestée, à Bir Lahlou, où sont postés des observateurs militaires de la Minurso, à l’est du mur de défense érigé par l’armée marocaine.

Le 5 mars, dans ce « territoire libéré », selon la terminologie indépendantiste, Ban Ki-moon a été accueilli par le représentant du Front Polisario à l’ONU, Ahmed Boukhari, sous une tente placée sous l’emblème sahraoui. « Ce déplacement n’a été annoncé que quarante-huit heures à l’avance, sans nous avoir consultés, observe Omar Hilale, ambassadeur du royaume aux Nations unies. Nous avons alerté son cabinet sur les risques de manipulation liés à cette visite. Il a ignoré notre mise en garde et fait preuve d’une complaisance inadmissible vis-à-vis de la propagande du Polisario. »

« Rupture de neutralité »

Rabat aurait pu n’y voir qu’une concession à l’hospitalité sahraouie, mais Ban Ki-moon a donné au royaume un deuxième motif de s’indigner. Ses propos lors d’une conférence de presse avec le ministre algérien des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, à Alger, sont qualifiés d’« insulte au gouvernement et au peuple marocains » par le royaume.

Le secrétaire général a indiqué à propos des camps de réfugiés sahraouis près de Tindouf : « J’ai été très attristé de voir autant de réfugiés et, particulièrement, les jeunes qui y sont nés. Les enfants qui sont nés au début de cette occupation ont désormais 40 ou 41 ans. Soit quarante années d’une vie très difficile. Je voulais vraiment leur apporter l’espoir que ce n’est pas la fin du monde pour eux (sic). » Pour Rabat, l’usage du terme « occupation » est une « rupture de neutralité ».

A New York, le porte-parolat de Ban Ki-moon écarte tout rétropédalage : « Le statut du territoire du Sahara occidental reste à définir, c’est un territoire non autonome. (…) Le secrétaire général […] a évoqué l’“occupation” en référence à l’incapacité des réfugiés sahraouis à retourner chez eux dans des conditions satisfaisantes de gouvernance qui leur permettrait d’exprimer librement leurs demandes. »

Première conséquence de cette passe d’armes, la future visite de Ban Ki-moon à Rabat et à Laâyoune paraît désormais largement compromise. Le secrétaire général voulait initialement inclure à sa tournée régionale une partie marocaine et une visite au siège de la Minurso à Laâyoune. Mais, en raison de l’absence de Mohammed VI, actuellement en France, le porte-parole du secrétaire général avait annoncé fin février le report de ce déplacement. « Sa Majesté a pris l’initiative d’inviter Ban Ki-moon à se rendre à Rabat et à Laâyoune, dès avril 2014. La visite a été plusieurs fois reportée par Ban Ki-moon. Il a un agenda chargé. Sa Majesté aussi », commente un haut diplomate marocain.

« Dans les bureaux feutrés »

Ce bras de fer peut paraître futile au regard des enjeux humains et politiques, mais il reflète une déception croissante du Maroc vis-à-vis du processus onusien de règlement du conflit, en regard de ses propres « efforts ». Mohammed VI a promis une série de projets de développement des « provinces du Sud » afin d’ancrer le territoire contesté dans la stratégie africaine du Maroc : une voie express régionale traversant le Sahara, de Tiznit à Dakhla, un aéroport à vocation africaine, un grand port atlantique à Dakhla. Et ce, alors que s’intensifie une campagne de la société civile européenne dénonçant l’exploitation des ressources naturelles au Sahara occidental, avançant qu’elles ne profitent pas aux populations locales. Rabat objecte un Indice de développement humain supérieur à la moyenne nationale dans les régions sahariennes, lesquelles sont, en proportion, les premières bénéficiaires de transferts de l’Etat.

Depuis quelques mois, la diplomatie marocaine est repassée en mode offensif sur le dossier du Sahara, le seul qui compte vraiment pour Rabat. L’ouverture d’un magasin d’ameublement Ikea a été bloquée, en septembre 2015, pour mettre la pression sur le gouvernement social-démocrate suédois au moment où celui-ci envisageait de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Le pays a aussi fermement réagi à une décision de justice annulant un accord agricole avec l’Union européenne, parce qu’il s’étendait – sans condition – au Sahara occidental. Après que le Maroc a annoncé la suspension de « tous contacts avec les institutions de l’UE », la haute représentante pour la politique extérieure de l’Union européenne, Federica Mogherini s’est rendue à Rabat, le 5 mars, pour assurer à son homologue marocain qu’elle rejetait l’analyse de la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission a fait appel du jugement.

Par ailleurs, Mohammed VI a rappelé, en novembre 2015, que la proposition marocaine d’une autonomie élargie pour le Sahara occidental « est le maximum que le Maroc peut offrir ». Le souverain en a profité pour égratigner « certains cercles au sein d’organisations internationales, qui ignorent l’histoire du Maroc, et qui cherchent à présenter des conceptions éloignées de la réalité car concoctées dans des bureaux feutrés ». Il est tentant d’y lire une attaque contre l’envoyé personnel de Ban Ki-moon, Christopher Ross. En 2012, ce dernier avait déjà été publiquement désavoué par le royaume, qui entretient depuis des relations froides avec lui. Mais Ban Ki-moon l’a maintenu à son poste, tout comme il a soutenu la Canadienne Kim Bolduc, la patronne de la Minurso nommée en 2014, qui avait dû attendre de longs mois le feu vert marocain avant de prendre ses fonctions à Laâyoune.

« Au-delà de la bouderie »

« Au-delà de la bouderie marocaine, qui est coutumière et témoigne d’un refus d’une inflexion de l’approche onusienne, c’est du côté d’Alger que les changements sont les plus profonds », estime pour sa part Khadija Mohsen-Finan, chercheuse associée à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques). Pour cette spécialiste du Sahara occidental, « la dynamique actuelle au sein du pouvoir algérien se répercute sur le Front Polisario. L’éviction de Toufik du département du renseignement et de la sécurité (DRS), qui a été rattaché à la présidence et rebaptisé département de surveillance et de sécurité (DSS), rebat les cartes. » En septembre 2015, le général Noureddine Mekri, dit « Mahfoud », ancien officier du DRS spécialiste du Polisario, était évincé de la direction des relations extérieures et de la coopération du ministère de la défense nationale.

Le statu quo actuel, qui sert une politique de fait accompli côté marocain, est ainsi paradoxalement servi par l’Algérie, principal soutien du Front Polisario. La rivalité entre les deux pays du Maghreb s’étend désormais au Sahel, qui s’impose durablement comme une préoccupation sécuritaire majeure pour la France, laquelle a rappelé le 9 février, par la voix du porte-parole du ministère des affaires étrangères, que « le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007 constitue une base sérieuse et crédible pour une solution négociée ». Encouragé dans son intransigeance par les développements récents, le Maroc maintient sa stratégie. « Le Sahara est notre cause nationale et nous avons fait le choix de la diplomatie. Mais certains ont tendance à interpréter notre ouverture comme une faiblesse, commente un responsable marocain. Nous leur disons que c’est une erreur. » Message reçu.