En Allemagne, en 1935. | Bundesarchiv / CC-BY-SA 3.0

Comment faire quand son enfant ne veut pas arrêter de faire une énorme colère dans la rue ou refuse obstinément de s’habiller quand on est pressé ? Parfois, surtout quand la colère monte, on peut crier, laisser partir une gifle, ou lui donner une fessée. Si on sait maintenant que la violence n’a pas de vertu éducative, comment peut-on se débrouiller pour éduquer ses enfants sans violence ? Dans toute la France, samedi 30 avril, se discute un thème qui soulève beaucoup de questions auprès des parents de jeunes enfants : « Sans fessée, comment faire ? »

« On ne veut pas culpabiliser les parents mais les aider en leur fournissant des outils, des solutions alternatives, pour ne plus avoir besoin de recourir à la violence », explique Catherine Dumonteil-Kremer, auteure et consultante familiale, à l’origine de la journée nationale de la non-violence éducative. Pour sa treizième édition : conférences, ateliers, projections de films, café débats, atelier d’écritures… des dizaines d’initiatives libres d’accès et gratuites.

« On sait aujourd’hui que la répression, par la fessée ou des punitions, n’est pas la solution pour un bon développement de l’enfant. Ce qui a d’abord été prouvé empiriquement est maintenant aussi prouvé scientifiquement par de nombreuses recherches », ajoute Mme Dumonteil-Kremer. Et comme « la gifle part souvent dans une explosion de colère, on a publié cette année un kit d’urgence ». Avec, en cas de besoin, quelques solutions, qu’on soit à la maison ou dans un lieu public : notamment se demander ce qui se passe en vous, s’isoler, respirer, proposer un jeu, prendre son enfant dans ses bras…

Qu’apprend-on avec une fessée ?

Qu’apprend-t-on à un jeune enfant de trois ans quand on lui donne une fessée, si, par exemple, il fait une colère parce qu’on refuse de lui acheter des bonbons dans un supermarché ? « Il comprend surtout que la personne qu’il aime le plus au monde peut lui faire mal et que l’usage de la violence envers un plus petit est possible », explique Catherine Dumonteil-Kremer, précisant que cette colère est un besoin physiologique permettant de compenser la frustration. Selon elle, « on peut bien dire non, et refuser beaucoup de choses, mais il faut accepter la tristesse, la déception, la colère que cela peut engendrer ».

En utilisant la force, donc la peur, on apprend aussi à l’enfant à essayer d’éviter les prochaines punitions, ou tapes. Il va donc apprendre à dissimuler et devenir un adulte qui fonctionne avec le système du « pas vu pas pris ». « Comme beaucoup d’entre nous aujourd’hui », estime-t-elle.

Nouvelle proposition de loi

Il y a quelques jours, une nouvelle proposition de loi contre les violences faites aux enfants a été présentée par trois députés. Edith Gueugneau (apparentée PS), François-Michel Lambert et François de Rugy (écologistes) veulent faire inscrire dans le Code civil et sur tous les nouveaux carnets de santé la prohibition de cette violence, sans imposer de sanctions envers les contrevenants.

« Nul, pas même le ou les titulaires de l’autorité parentale, n’a le droit d’user de violence physique, d’infliger des châtiments corporels et des souffrances morales, ou de recourir à toute autre forme d’humiliation envers un enfant », peut-on lire dans le texte des trois députés.

La question de l’interdiction reste cependant très polémique : il ne faut pas stigmatiser les parents, et la majorité d’entre eux sont réfractaires à une loi, qui empiéterait sur ce que beaucoup considèrent comme leur liberté dans l’éducation de leurs enfants. Les parlementaires précisent donc qu’« il ne s’agit pas de mettre les parents en prison » mais de poser « une interdiction symbolique, éthique ».

Deux enfants meurent par jour de maltraitance

En France, deux enfants meurent chaque jour de maltraitances infligées par leurs parents et 45 % des Français soupçonnent un cas dans leur entourage, selon un sondage réalisé en 2015 par l’association l’Enfant bleu. Et si, pour beaucoup, donner une fessée n’équivaut pas à frapper son enfant, selon un rapport de l’Unicef de 2003, il existe un « risque que la punition physique débouche rapidement sur des formes plus graves de violence ». En effet, la limite entre « punition raisonnable » et maltraitance est variable.

Une interdiction est nécessaire pour faire évoluer les mentalités, selon Mme Dumonteil-Kremer qui note que « la plupart des parents estiment que la fessée n’est pas taper ». « Mais pour la plupart des parents, c’est très difficile, estime-t-elle. Beaucoup sont remontés contre cette loi parce qu’ils sont démunis et se sentent menacés. Ils ne savent pas comment faire autrement. » Il s’agit donc aussi de faire un travail de formation et d’information quant à des solutions, pas uniquement d’interdire.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, est du même avis. Dans son rapport remis en février au comité des droits de l’enfant de l’ONU, il note que de nombreux parents perçoivent encore la fessée et la gifle comme « un moyen éducatif ». Il recommande que l’interdiction des châtiments corporels soit « inscrite dans la loi » et préconise « des actions pédagogiques pour sensibiliser le public à une éducation sans violence ».

« Aucune vertu éducative »

A défaut de légiférer – en mai 2014, un amendement interdisant les châtiments corporels déposé par un député écologiste a été retiré de la loi sur la famille –, la ministre des familles, Laurence Rossignol, a préféré faire « la promotion d’une éducation sans violence ».

Publié début avril, le nouveau « livret des parents » envoyé par les caisses d’allocations familiales (CAF) aux futurs parents ne se limite donc plus aux informations habituelles sur les prestations sociales et le suivi de grossesse, mais fournit aussi conseils et ressources pour mieux traiter les enfants. En particulier, il exclut explicitement, pour la première fois, les châtiments corporels. « Frapper un enfant (fessée, gifles, tapes, gestes brutaux) n’a aucune vertu éducative, explique le document. Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer, mais génèrent un stress et peuvent avoir des conséquences sur son développement. »

Ce livret s’appuie notamment sur les recherches effectuées sur les effets à long terme des punitions corporelles. Une méta synthèse majeure de 75 études vient d’être publiée dans le Journal of Family Psychology. Les chercheurs des universités du Texas à Austin et du Michigan ont épluché cinquante années de recherches, englobant plus de 160 000 enfants dans le monde.

Ils n’ont trouvé aucune preuve qu’administrer des fessées à un enfant peut améliorer son comportement. Par contre, ces corrections peuvent se traduire par de nombreuses conséquences négatives, à l’encontre de l’objectif des parents : une agressivité plus importante, des comportements asociaux plus fréquents mais aussi une plus grande fragilité mentale et une relation parents-enfants dégradée.

Une nouvelle autorité, sans punition ni fessée, par Catherine Dumonteil-Kremer, aux éditions Nathan.