Benjamin Girette / IP3 : Longny au Perche (dorénavant : Longny les Villages) France le 6 Janvier 2016 : La commune est créée par la fusion de huit communes, sous le régime juridique des communes nouvelles instauré par la loi no 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Les communes de La Lande-sur-Eure, Longny-au-Perche, Malétable, Marchainville, Monceaux-au-Perche, Moulicent, Neuilly-sur-Eure et Saint-Victor-de-Réno deviennent des communes déléguées et Longny-au-Perche est le chef-lieu de la commune nouvelle (Longny les Villages). Le nouveau Maire de la commune Nouvelle, Christian Baillif, préside la séance et fait voter à main levée les conseillés municipaux. | BENJAMIN GIRETTE / IP3 POUR LE MONDE

Par Céline Blampain

Ceux qui, parfois, ont l’occasion de traverser les villages de Bourgogne, de Champagne, ou de Franche-Comté ont peut-être déjà ressenti cette impression de parcourir un désert. Des dizaines de volets clos en plein jour. Des vitrines à l’abandon. Des affiches « A Vendre ». Parfois, au loin, le rondement d’un tracteur. Dans ces communes rurales où les écoles ont fermé progressivement (tout comme le bureau de poste, l’épicier, le boulanger, le garagiste, le centre des impôts, le cabinet médical), dans ces communes abandonnées, oubliées, délaissées, il restait un dernier symbole de la République, un ultime repère : la mairie. Son fronton orné de drapeaux bleu blanc rouge. Sa devise en lettres gravées : « Liberté, Égalité, Fraternité. »

Cela appartiendra bientôt à l’histoire. J’ai aujourd’hui 28 ans et je raconterai un jour avoir connu la France des 36 000 communes. L’époque où un grand pays jacobin laissait encore une place à la démocratie de proximité, précieux héritage de la Révolution française.

Le 1er janvier 2016, 921 communes de France ont fusionné, sacrifiées sur l’autel de la modernité et surtout sur celui de la dette publique. Quelque 400 autres devraient suivre le même chemin en 2017.

À l’origine de cette révolution, un texte de 2010 conforté par le vote de la loi NOTRE (Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) établissant le statut de « commune nouvelle ». Dans le département de l’Yonne par exemple, 14 villages de Puisaye ont donné naissance à une commune nouvelle de 5153 habitants, perdant ainsi définitivement leur statut de collectivité locale et devenant de droit des « communes déléguées ». Les anciens élus sont nommés d’office adjoints du nouveau maire dans le cadre d’un régime transitoire. Après les élections municipales de 2020, il n’y aura plus qu’un seul conseil municipal et qu’un seul maire pour l’ensemble des villages fondateurs.

Fusion ou regroupement ?

Les velléités des hommes politiques de réduire le nombre de communes françaises ne sont pas nouvelles. En 1971 déjà, les élus locaux avaient vaillamment résisté aux tentatives de fusion initiées par la loi Marcellin.

Pour justifier ces mesures, Bruxelles explique que la France est une exception et qu’elle recense à elle seule 40 % des mairies des 28 pays de l’Union européenne. De surcroît, 86 % de ces municipalités comptent moins de deux mille habitants. La fusion de ces communes permettrait à ces territoires d’avoir plus de « poids » (même si cela reste à prouver) et surtout de faire des économies dans un contexte de réduction générale des dépenses publiques.

Conscient de l’attachement des Français à un échelon communal pluriséculaire et pour éviter une levée générale de boucliers, le gouvernement a pris soin de préparer « des éléments de langage ». Le terme de « fusion » est banni du vocabulaire. On lui préfère au contraire le joli mot de « regroupement ». (Mais les communes n’étaient-elles pas déjà regroupées en communautés de communes, alors à quoi bon ?)

Les députés de gauche comme de droite ont répété à l’unisson que les villages se regrouperaient de « de leur plein gré », sur la « base du volontariat ». Surtout elles « conserveront leur identité » puisque les anciens villages garderont leurs panneaux et deviendront des « communes déléguées » au sein d’une plus grande entité. En réalité, les prétendues « communes déléguées » n’auront plus aucun pouvoir puisque leur rôle devient purement consultatif. L’article L2113-10 du nouveau code des collectivités territoriales prévoit d’ailleurs que les conseils municipaux pourront les supprimer à tout moment.

Pour rassurer les habitants des campagnes, on leur explique pourtant que l’organisation des communes nouvelles ressemblera à celle des grandes agglomérations Paris, Lyon ou Marseille avec leurs arrondissements. Il est vrai que la taille des nouvelles communes, plus de 250 km2 pour certaines, s’apparente bien à celle d’une grande métropole comme Marseille. Mais pour le reste. La comparaison s’arrête là. Car dans les grandes villes, chaque arrondissement élit son propre conseil municipal. Ce qui ne sera plus le cas des communes historiques après 2020. Un seul maire sera élu et les « maires délégués », eux, seront choisis parmi les membres du conseil municipal et non par la population. Cela me semble être une différence de taille.

La création du statut de « commune déléguée » est un palliatif destiné à endormir provisoirement tous ceux qui refusent de voir mourir leur village.

Chantage financier

Quant à prétendre cyniquement que les communes seraient volontaires pour fusionner, c’est oublier que la plupart des maires, quand ils n’y ont pas été forcés (le premier magistrat d’une commune de Bourgogne m’a confié avoir été « convoqué » en préfecture après avoir voté contre la réforme) ont accepté de fusionner au terme d’un chantage financier d’une ampleur inédite. Les communes nouvelles créées avant le 1er janvier 2016 bénéficient du gel de la baisse de leur dotation pendant trois ans. Celles dont le nombre d’habitants est compris entre 1000 et 10 000 auront en plus droit à une majoration de 5 % de la somme.

Pour certains élus locaux, ces ressources financières étaient vitales puisqu’ils risquaient de perdre un quart de leur budget. La fusion ou la paralysie financière ? Un simple répit car sur le long terme, nul doute qu’aucun territoire n’échappera à la cure d’austérité.

Concentration des services publics

Dans les nouvelles communes, la réforme conduira inexorablement au regroupement des écoles, au regroupement des casernes de pompiers et de gendarmerie, à la mutualisation des services municipaux, à la concentration de l’activité dans les bourgs principaux, à la désertification des campagnes. Dans des territoires ruraux de 200 km2 à l’habitat dispersé, où les transports en commun sont lacunaires pour ne pas dire inexistants, la centralisation entraînera dans dix ou vingt ans une régression de l’accès au service public pour les pauvres et les plus fragiles.

Doit-on se réjouir de la réduction du nombre de conseillers municipaux ? Ce statut qui, loin du consumérisme et de l’individualisme rampant des grandes villes, permet à n’importe quel citoyen de s’engager en faveur de l’intérêt général et de prendre part au débat public. Les habitants vont perdre le lien de proximité qui les unissait avec leur maire et leurs conseillers municipaux. Au nom de quelle modernité mettons-nous fin à deux cents ans de tradition républicaine ?

À un moment où le pays traverse une crise d’identité sans précédent, était-il réellement opportun de supprimer les repères en brouillant les limites des communes après avoir supprimé celles des régions ?

Comme l’a justement souligné l’association des maires ruraux de France, la réforme contribuera à accroître les inégalités territoriales entre d’un côté les grandes agglomérations et leurs campagnes périurbaines et de l’autre des territoires de plus en plus enclavés qui subissent de plein fouet les ravages du chômage et de la désindustrialisation.

La politique d’austérité impliquant le désengagement massif de l’Etat exacerbe le sentiment d’abandon d’une partie de la population, en particulier dans le Nord-Est de la France, de plus en plus tentée par le vote protestataire. Le Front National semble l’avoir bien compris en faisant activement campagne dans ces territoires lors des dernières élections.

69 ans après la publication de Paris et le désert français de Jean-François Gravier, une nouvelle et dangereuse fracture territoriale se fait jour. Nos élites auraient tort de s’y désintéresser.

Céline Blampain est journaliste en Bourgogne et Franche-Comté