Marine Le Pen a assuré mardi que le FN n'avait que « 5 % du temps d’antenne politique ». | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Marine Le Pen s’est emportée, mardi 19 avril sur Radio Classique, contre le supposé mauvais traitement par les médias de sa formation politique. Selon la présidente du Front national (FN), seule une faible partie (« 5 % ») du temps de parole à la radio ou à la télévision lui serait accordée. Vraiment ?

Ce qu’elle a dit :

« Essayons de donner une information qui soit juste à ceux qui nous écoutent. Le Front national a eu 5 % du temps d’antenne politique. 5 %. Alors il se trouve que vos confrères préfèrent inviter Marion [Maréchal-Le Pen], Florian [Philippot] et Louis Aliot. Mais il n’en demeure pas moins qu’en tout et pour tout c’est 5 % du temps d’antenne politique, donc on ne peut pas dire que nous soyons traités en nous déroulant le tapis rouge. »

Pourquoi c’est plus compliqué

Ce n’est pas la première fois que Marine Le Pen brandit cet argument. En fait, le chiffre de « 5 % » provient d’un collectif militant, plutôt classé à gauche, Les Engagées du Web. Ce dernier a publié en août un graphique qui donnait une répartition des invités par appartenance politique dans une trentaine d’émissions sur la « saison 2014-2015 ».

Le FN y est effectivement estimé à 5,8 %. Ce qui peut sembler peu pour un parti qui pesait plus de six millions de voix aux premiers tours des départementales puis des régionales en 2015. Néanmoins, il s’agit de pourcentages « d’invités », et pas de temps de parole : il y a aussi bien des interviews d’une dizaine de minutes que des émissions longues comme « Des paroles et des actes » dans la liste, qui n’a par ailleurs rien d’exhaustif.

Au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), on explique qu’il vaut mieux parler de « temps de parole », qui représente les prises de parole des politiques dans les médias concernés. On rappelle également que cela ne tient pas compte de la portée médiatique de ces interventions. Par exemple, 10 minutes sur France Info compte autant quand l’interview passe inaperçue que quand elle est reprise un peu partout. De même, ces chiffres bruts ne tiennent compte ni de l’heure, ni du nombre de spectateurs de l’intervention.

Pendant les régionales : 18 % de l’espace médiatique

En matière d’équité du temps de parole des formations politiques dans les médias, ce sont en principe plutôt les chiffres du CSA qui font autorité. L’autorité de régulation est en effet tenue de veiller au pluralisme, aussi bien pendant les périodes électorales qu’en dehors.

Les derniers chiffres sur le sujet, publiés par le CSA, montrent la répartition du temps de parole des partis politiques pendant la campagne des régionales. On y apprend notamment qu’avant le premier tour, le FN a occupé un peu moins de 18 % de l’espace médiatique, contre environ 27 % pour le Parti socialiste (PS) et 24 % pour Les Républicains (LR).

Temps de parole des formations politiques avant 1er tour des régionales 2015
Du 26 octobre au 4 décembre, télévisions et radios confondues
Source : CSA

L’ordre d’arrivée des grandes formations politiques est le même si on trie par types de médias (chaînes d’information en continu, chaînes généralistes, radios). Avec, en revanche, des nuances, notamment dans la représentativité des petites formations (Nouvelle Donne, Parti pirate, Cap 21, NPA, Ecologistes !, Nous citoyens…) que nous avons regroupées sous l’étiquette « autres », mieux représentées à la radio qu’à la télévision.

Temps de paroles des formations politique avant le premier tour des régionales 2015
Du 26 octobre au 4 décembre 2015, par types de médias.
Source : CSA

Le président du CSA, Olivier Schrameck, avait en revanche adressé des réserves quant à la couverture des élections, dans une série de courriers aux directeurs des principaux médias. S’il estimait que le principe d’équité a été « globalement respecté », il regrettait la prédominance de « seulement trois formations politiques » (PS, LR, FN) dans le cas de TF1, M6, Europe 1 ou encore RTL. Sans, pour autant, aller jusqu’à prendre des sanctions à l’encontre des médias concernés.

Concernant le FN, il figure systématiquement dans les trois partis les plus représentés, avec le PS et l’UMP. Avec de grosses nuances selon les cas : sur BFM-TV, le parti de Marine Le Pen a totalisé une heure une minute de temps de parole pendant les six semaines de campagne avant le second tour. Soit environ la moitié de LR (deux heures sept minutes) et du PS (deux heures dix-sept minutes).

A l’inverse, il était le parti le plus présent sur les ondes de RTL (trente-huit minutes), devant LR (trente-six minutes) et le PS (vingt-neuf minutes). Sur Europe 1, les trois partis se sont partagés un temps de parole équivalent (entre cinquante-cinq et cinquante-huit minutes).

En résumé, la formation de Marine Le Pen a totalisé sur cette campagne un temps de parole global (18 %) plutôt inférieur à ses derniers résultats électoraux. Mais son rang a été globalement respecté, bien au-delà des « 5 % » évoqués par la présidente du FN.

Pas de chiffres annualisés en dehors des périodes électorales

La situation est moins claire en dehors des périodes électorales. Le CSA continue de veiller au respect des règles d’équité. Une notion beaucoup moins contraignante que l’égalité du temps de parole exigée dans la dernière ligne droite des scrutins présidentiels jusqu’ici. L’instance de régulation publie aussi, chaque mois, des relevés des temps de parole média par média. Mais ne communique pas de chiffres globaux.

Indépendamment de cela, des études partielles voient aussi le jour. Ces dernières mettent régulièrement en avant l’activisme de Florian Philippot, invité numéro un des émissions politiques, selon Les Engagées du Web, et « plus gros squatteur des matinales », selon Le Lab d’Europe 1. Mais à part lui, seules Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen émergent vraiment dans le parti d’extrême droite. Ce qui fait que hors période électorale, le FN bénéficie d’une couverture médiatique plus faible.

Les suffrages ne sont pas le seul critère « d’équité »

Ce qui n’est pas totalement injuste dans l’esprit du CSA, si l’on se fie à sa délibération du 21 juillet 2009 relative au « principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision », qui fixe un cadre sur les périodes sans scrutin.

Ce document distingue en effet plusieurs cas :

  • le président de la République, dont le CSA décompte les interventions qui « relèvent du débat national » et exclut les autres ;
  • le « bloc majorité » (gouvernement, parlementaires, collaborateurs du président). Les concernant, le CSA demande aux éditeurs de veiller à leur assurer « un temps d’intervention conforme » à leur rôle dans la vie politique nationale ;
  • l’opposition parlementaire, dont le temps de parole « ne peut être inférieur à la moitié du temps d’intervention » cumulé de la majorité et du chef de l’Etat. Le CSA a d’ailleurs mis en garde Canal+, D8, RMC et Europe 1 en raison de « graves déséquilibres caractérisés par une sous-exposition de l’opposition parlementaire » à cause des trois derniers mois de 2015, a-t-on appris lundi ;
  • celles et ceux qui ne sont ni de la majorité ni de l’opposition, que leur formation soit représentée ou non au Parlement. Le parti de Marine Le Pen appartient à cette dernière catégorie, pour laquelle le CSA demande aux médias d’accorder « un temps d’intervention équitable » en tenant compte de sa représentativité. Et notamment des « résultats des consultations électorales ». Plan sur lequel le FN s’est distingué en arrivant en tête du premier tour des dernières régionales avec environ 28 % des suffrages exprimés.

Mais cela ne veut pas dire, aux yeux du régulateur, que les médias doivent impérativement lui donner 28 % de leur temps. Le CSA demande également de prendre en compte « le nombre d’élus ». Or, avec seulement deux députés, deux sénateurs, une dizaine de mairies, une vingtaine de députés européens, mais toujours aucun président de département ou de région, le FN pèse mécaniquement moins lourd que le PS ou LR.