Le préjudice écologique et les néonicotinoïdes, enjeux de la loi sur la biodiversité
Le préjudice écologique et les néonicotinoïdes, enjeux de la loi sur la biodiversité
Par Audrey Garric, Pierre Le Hir
Les députés, qui commencent l’examen du texte en deuxième lecture, devraient confirmer l’inscription dans le code civil du principe du « pollueur-payeur ».
Les députés doivent se prononcer sur l’interdiction des insecticides tueurs d’abeilles. | ANDRÉS NIETO PORRAS/CC BY-SA 2.0
Deuxième tour de piste pour le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le texte, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en mars 2015 et modifié par le Sénat en janvier 2016, arrive en deuxième lecture devant les députés, de mardi 15 à jeudi 17 mars, après avoir été amendé et voté le 9 mars par la commission du développement durable. S’il contient soixante-douze articles (sans compter les sous-articles), deux d’entre eux, sur le préjudice écologique et sur les néonicotinoïdes, focalisent l’attention par leur caractère emblématique.
En janvier, le Sénat avait introduit la reconnaissance du préjudice écologique dans le code civil en adoptant un article selon lequel « toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer ». Une façon de conforter, dans le droit français, le principe du « pollueur-payeur », déjà inscrit dans la charte de l’environnement intégrée en 2005 à la Constitution française.
Préjudice écologique sanctuarisé
Mais, au début de mars, à la surprise générale, le gouvernement a semblé vouloir torpiller le préjudice écologique. En commision de développement durable, il a déposé un amendement qui exonérait de toute responsabilité les auteurs d’atteinte à l’environnement résultant d’activités autorisées. Devant le tollé suscité, l’amendement a été précipitamment retiré par la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, qui a évoqué des « interprétations divergentes ».
Le dossier revient devant les députés avec un nouvel amendement, déposé notamment par la rapporteuse du projet de loi, Geneviève Gaillard (PS, Deux-Sèvres), et par le président de la commission du développement durable, Jean-Paul Chanteguet (PS, Indre). Cette fois, le texte « sanctuarise le préjudice écologique dans le code civil », estime Laurent Neyret, juriste spécialisé en droit de l’environnement. Il dispose en effet que « toute personne qui cause un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Il donne une définition de ce préjudice, à savoir « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes, ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Et il précise que peut demander réparation « toute personne ayant qualité et intérêt à agir ».
Une rédaction que la Fondation Nicolas-Hulot « accueille favorablement », y voyant une avancée « vers la pleine application du principe du pollueur-payeur ». Le gouvernement, qui doit effacer la fâcheuse impression laissée par sa rétractation, devrait a priori donner un avis favorable à cet amendement. Reste à savoir s’il sera voté en l’état par les députés.
Interdiction totale des néonicotinoïdes
Autre avancée majeure introduite dans le projet de loi, mais dont l’issue est compromise : l’interdiction totale des néonicotinoïdes, une famille de pesticides reconnus nocifs pour les abeilles et les insectes pollinisateurs et, plus généralement, pour l’environnement et la santé. Selon l’article 51, voté en commission du développement durable de l’Assemblée à l’initiative d’une soixantaine de députés écologistes et socialistes, l’utilisation de l’ensemble des substances de cette famille sera interdite à partir du 1er janvier 2017, pour tous les usages et toutes les cultures, y compris les semences enrobées avec ces produits. Denis Voisin, le porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, s’en félicite :
« C’est une vraie avancée, pour laquelle nous militons depuis deux ans. Il y a réellement une prise de conscience, dans le public comme la classe politique, de la nécessité d’agir contre les néonicotinoïdes. Il s’agit maintenant de faire voter cette interdiction totale par les députés en séance plénière. Ce serait un signal très fort, au moment où le plan Ecophyto 2 [qui doit réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2025] entre en vigueur. »
Mais l’affaire est loin d’être gagnée tant la mesure suscite débats et tensions entre les parlementaires et au sein du gouvernement. Pas moins de quarante-cinq amendements ont été déposés depuis une semaine en faveur de la suppression ou de la modification de cet article, qui avait déjà été introduit en première lecture à l’Assemblée en mars 2015, à la surprise générale, avant d’être retiré par le Sénat en janvier.
Surtout, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a mis tout son poids dans la balance, en adressant une lettre à une partie des députés, lundi, une procédure pour le moins inhabituelle. La missive, datée du 11 mars, et que Le Monde a pu consulter, les incite à ne pas voter en faveur d’une interdiction totale des néonicotinoïdes. Le ministre évoque des risques de « distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens », et des solutions de remplacement « qui ne présentent aucune garantie supplémentaire pour les pollinisateurs, bien au contraire » — un argument réfuté par des ONG et des scientifiques.
Vis-à-vis de Bruxelles, Paris alterne exigences fortes et manque de soutien sur ce dossier. En mai 2013, M. Le Foll avait demandé et obtenu une suspension des néonicotinoïdes durant deux ans. Mais cette interdiction n’est que très partielle : non seulement elle ne porte que sur trois substances — le thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride —, mais elle ne concerne que certaines cultures. Si Stéphane Le Foll continue de demander publiquement à la Commission européenne de faire procéder à des évaluations supplémentaires de la toxicité de ces substances, il ne se montre en réalité pas pressé de prendre des décisions radicales dans les campagnes françaises. Contrairement à Ségolène Royal, son homologue à l’environnement, qui veut élargir les restrictions européennes, et à la Commission, qui voudrait elle-même édicter des règles plus sévères pour l’homologation de ces produits.
Chalutage profond et chasse à la glu
Au titre des autres avancées, parmi les trois cent quarante et un nouveaux amendements votés en commission de l’Assemblée, les élus ont notamment rétabli l’interdiction du chalutage en eaux profondes — une pratique dévastatrice pour la faune et les fonds marins —, qui avait été supprimée par les sénateurs. Ils ont également maintenu certains ajouts positifs introduits par le Sénat : le retour de la « taxe Nutella » — une taxe additionnelle sur les huiles de palme destinées à l’alimentation humaine — ou la ratification par la France du protocole de Nagoya sur la « biopiraterie ».
Par contre, les députés n’ont pas restauré l’interdiction de la chasse aux oiseaux à la glu, supprimée par les sénateurs, contredisant ainsi leur vote en première lecture. Enfin, la création de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), pierre angulaire du dispositif, présente toujours des limites : son périmètre, qui n’inclut pas l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, en fera une agence « unijambiste », centrée sur les domaines aquatique et marin, mais sans compétence quant à la biodiversité terrestre. Son budget de fonctionnement — 230 millions d’euros, la somme des budgets des quatre établissements publics qui la composeront —, n’inclut pas les crédits d’intervention qui lui sont nécessaires, estimés par des ONG à au moins 250 millions d’euros.
« Nous avons amélioré le texte par rapport à sa version votée au Sénat, mais il n’est pas parfait, il y a encore des progrès à faire », reconnaît la rapporteuse Geneviève Gaillard. « Mis à part la question des moyens de l’AFB, ce projet de loi nous semble constituer un progrès par rapport à la précédente loi de la nature de 1976 », juge de son côté Bernard Chevassus-au-Louis, président de l’ONG Humanité et biodiversité.
Le projet de loi sur la biodiversité devra encore être examiné en seconde lecture par le Sénat, avant la tenue d’une commission mixte paritaire (députés et sénateurs), puis, en cas de désaccord, un dernier passage devant l’Assemblée, qui aura le dernier mot. Le ministère de l’environnement espère toujours un vote final avant l’été.