Illustration Louise Pomeroy pour M le magazine du Monde

Dans un univers aussi esthétisant que la mode, les objets dits « utilitaires » restent disgracieux. Un constat regrettable mais fatal qu’illustre trop souvent l’association protège- bas/escarpins. Quelque part entre le protège-slip et la charlotte de douche, le protège-bas est cette minihousse en Nylon façon collant qui s’enfile sur le bout du pied pour empêcher le vrai collant de filer même si aujourd’hui on le porte plus souvent sur des pieds nus pour les protéger du frottement du cuir. Sauf que cette chose n’est jamais aussi invisible qu’elle le devrait : elle déborde toujours un peu (voir beaucoup) de l’escarpin, comme si elle était bien décidée à exister aux yeux du monde, à ne pas être un objet honteux. Le résultat prête à de multiples interprétations visuelles, toutes peu flatteuses.

Surprises et sécrétions

Comme il est quasi impossible de trouver un protège-bas de la couleur exacte de la peau du pied, la bordure qui frisotte ressemble au mieux à une erreur de bronzage (vrai comme faux). Ce renflement de Nylon évoque également un repli de chair hydropique, celle d’un pied malade et sujet à toutes sortes de gonflements maladifs. Enfin, pour ceux qui sont sensibles à l’esthétique des films d’horreur, on est au fond assez proche d’un double chausson de peau plus ou moins humaine qu’on pourrait voir dans Le Silence des agneaux. L’estomac, même le moins sensible, tangue déjà mais ce qui se passe à l’intérieur de l’escarpin réserve d’autres surprises et sécrétions. S’il évoque le préservatif de pied, le protège-bas fait surtout des dégâts.

Le pied transpire activement du métatarse au talon, tachant l’intérieur cuir de la chaussure, l’imprégnant d’une odeur fauve indélébile.

Les ampoules, plus fréquentes sous l’élastique promeneur du bord, sont un classique attendu. En plus des douleurs cinglantes et sanglantes, elles permettent d’ajouter, entre le pied et le protège-bas, une couche de pansement façon collage en dégradé de nuances chair. Mais cette housse en Nylon fait surtout office de Sudisette : dans cette gangue protectrice, le pied transpire activement du métatarse au talon, tachant l’intérieur cuir de la chaussure, l’imprégnant d’une odeur fauve indélébile.

En retour, le protège-bas absorbe consciencieusement les teintures internes de l’escarpin et se charge de les imprimer de manière quasi permanente sur la peau du pied. Et, dans ce cas, l’usage de pierre ponce et autres exfoliants ne servira qu’à rougir des extrémités déjà meurtries. Au fond, le protège-bas ne peut avoir que deux usages. Il préserve les pieds nus des miasmes de l’aéroport quand il faut enlever ses chaussures pour passer les contrôles de sécurité. Une fois lavé et transformé en boule informe par un essorage vigoureux, il fera un merveilleux jouet pour chat, sans danger pour les meubles. Enfin utile et sans douleur.

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