Joann Sfar à Paris en juillet 2015. | FRANCOIS GUILLOT/AFP

Quai Malaquais, la grande salle aux murs défraîchis et ornés de tableaux troués par le temps est presque comble. Sur scène, pour cette matinée du jeudi 28 avril, cinq intervenants aux profils contrastés sont venus donner leur vision de « L’Irresponsabilité de l’artiste », thème du colloque de deux jours organisé par les Beaux-Arts de Paris (en accès libre) auquel ont été conviés au total vingt créateurs ou spécialistes de l’art en réaction à la multiplication, ces derniers mois, des actes de vandalisme ou affaires de censure et d’autocensure dans le monde de l’art.

C’est l’auteur de bandes dessinées Joann Sfar qui a lancé la deuxième journée d’échanges. L’ancien élève des lieux, qui a également fait des études de philosophie, avait intitulé son intervention « L’Espace dialectique et le diable ». Malicieuse formulation qu’il a justifiée par le carambolage entre la lecture de Diable rouge, polar déjanté du romancier américain Joe R. Lansdale, et la préparation de son intervention. Dans le livre, l’un des personnages est retrouvé ivre-mort par sa famille au milieu du salon avec une locomotive de train électrique enfoncée dans l’entrejambe. « L’irresponsabilité de ce père, qui se met les jouets de ses enfants dans le cul, m’a fait penser à l’irresponsabilité de l’artiste », résume Joann Sfar dans un sourire.

« Un moment sauvage »

Il revient sur son bref passage, il y a une dizaine d’années, à Charlie Hebdo – dont les dessinateurs sont régulièrement traités d’irresponsables. ll y a fait le constat implacable qu’il n’avait pas le talent d’un Charb ou d’un Cabu : « Eux avaient des visitations que je n’avais pas, leur connerie leur tombait dessus : ils avaient mille idées à la minutes, moi rien. » Et de poursuivre sa métaphore analo-ferroviaire : « Je n’étais pas un artiste du dessin de presse, alors j’ai trouvé un autre endroit où je pouvais m’enfoncer des trains dans le cul »

La notion de responsabilité est pour lui antinomique avec l’essence de l’artiste : « L’art est un moment sauvage, sur lequel on n’a pas prise, qui relève du diable. Devient artiste celui qui a peur, essaie de se soigner, de trouver des solutions nouvelles ou de réenchanter le monde. » Aussi l’artiste est-il là « pour être un prophète, pas pour être comptable des idées qui lui viennent », selon l’auteur du Chat du rabbin.

Entre « ire et responsabilité »

« L’artiste Fast and Furious entre Raison d’Etat et Mission Impossible » : la formulation aussi cinématographique que sarcastique de l’intervention du sculpteur et photographe belge Olivier Blanckart annonçait de l’action, le public n’a pas été déçu. Entre « ire et responsabilité », c’est bien une colère provocatrice qui a traversé sa présentation, introduite incidemment par son détournement de la première « une » de Charlie post-attentats : « Tout est pas ordonné », accompagné d’un panneau « Je suis artiste ». Pour lui aussi, l’artiste est donc un « prophète », que les Etats cherchent à domestiquer.

Dans la lignée des artistes « panacées de l’art officiel », qui « servent à tout, comme Buren », comparé à une marque, l’insoumis évoque le cas Anish Kapoor à Versailles. Selon lui, le vandalisme de l’œuvre Dirty Corner a détourné l’attention d’un point qui crée pourtant « un malaise sur la question de la responsabilité ». Car davantage qu’un « vagin de la reine », l’œuvre royalement promue par l’Etat est pour lui le « gode-ceinture qu’on a enfoncé dans le cul des ouvriers de Florange », le mécène des monumentales structures de fer de l’artiste britannique n’étant autre que l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal, président d’ArcelorMittal.