Il n’y a pas si longtemps, Anne Valérie Hash présentait ses collections chez elle, dans cet ancien restaurant très connu au XIXe siècle, le Marguery, où Zola faisait des lectures, tout en miroirs et dorures sublimes du boulevard de Bonne-Nouvelle à Paris. Rare femme à prendre part aux défilés haute couture, elle a, au début des années 2000 et pendant treize ans, occupé une place à part. Travailleuse acharnée, souriante et disponible, aussi concentrée que chaleureuse, couturière hors pair qui dessine ses silhouettes à l’aiguille plus qu’au crayon, fine connaisseuse des textiles et de la technique tailleur, elle dégage une joie bienfaisante et reste indéfectiblement optimiste, même quand elle a dû annoncer qu’elle stoppait l’activité de sa maison en décembre 2013.

Anne valérie Hash. | Fabrice Laroche

« Mon défilé de septembre 2013 s’intitulait “Pause”, car je savais que j’allais en faire une. Je n’avais pas réussi à trouver mon binôme business, et je voulais m’occuper de moi et de ma famille. Il n’y a pas beaucoup de femmes indépendantes dans ce métier, avec deux filles et un mari qui travaille à Rungis… Je devais assumer quatre défilés de prêt-à-porter par an et une ligne enfant. Il fallait que je digère aussi la vitesse à laquelle allaient désormais les choses avec Internet notamment. Plutôt que de risquer d’abîmer la marque, je me suis dit que je reprendrais quand l’énergie serait à nouveau là. »

« J’avais peur que ce ne soit pas compris, et aussi peur de présenter quelque chose alors que je n’avais rien à vendre sauf le livre de l’expo ! » Anne Valérie Hash

Entre janvier et mai 2014, elle se met à prendre en photo toutes ses archives et à faire des « boîtes » sur le cloud : un look sur Stockman, les photos de presse ou de pub qui l’accompagnent, le film du défilé. Tout est bien rangé pour clore l’histoire le plus proprement possible. Elle entre alors en relation avec Sylvie Marot, par le biais de LinkedIn, pour peaufiner l’archivage. La spécialiste des patrimoines de mode voit tout de suite le potentiel de ce petit trésor et pense à en tirer une exposition (dont elle a assuré le commissariat et la direction éditoriale). « J’avais peur que ce ne soit pas compris, et aussi peur de présenter quelque chose alors que je n’avais rien à vendre sauf le livre de l’expo ! », raconte Anne Valérie Hash qui, depuis l’arrêt de sa marque, a assuré la direction artistique de Comptoir des cotonniers entre juin 2014 et décembre 2015 (sa dernière collection pour l’enseigne arrivera en boutique cet automne).

Voir son travail avec quelques années de recul le replace étonnamment au cœur des enjeux stylistiques actuels : le masculin-féminin, les volumes chahutés qui arrêtent l’œil et interrogent le bon goût, l’« upcycling », l’idée d’un luxe cool. L’exposition nichée dans l’aile moderne de la Cité internationale de la dentelle et de la mode, à Calais, échappe à l’exercice patrimonial empesé. La scénographie fait passer le visiteur de la lumière des émouvantes toiles de haute couture à l’ombre des « caissons-vitrines » noirs (sans verre pour réduire la distance entre le vêtement et le visiteur).

Une robe en 162 morceaux

Sur les cartels, la description des pièces indique le nombre de « morceaux » de tissu nécessaires à leur composition. Pour exemple, cette robe origami en compression de tulle de soie plissée, vingt-sept morceaux et six épaisseurs, donc 162 morceaux. Les textes précis et bien troussés de Sylvie Marot valent la peine d’être tous lus, et les vidéos patiemment regardées. Les photos de Michelangelo Di Battista, posées au sol, dégagent quant à elles une grâce sans nostalgie. Elles montrent aussi combien il faut voir ces vêtements portés pour que leur complexité structurelle et leur nature masculine n’étouffent pas la sensualité et la féminité qu’Anne Valérie Hash fait jaillir des pantalons et vestes de costume, transformés en robe, en « chemise renversée » ou en « jumpsuit ».

Blouse d'organza à manches soufflées plissées, haute couture hiver 2008, Anne Valérie Hash. | Fabrice Laroche

Quand elle défilait, Anne Valérie Hash ne faisait pas partie des branchés. Elle n’était sûrement pas assez snob. Pourtant, si les vestiaires pouvaient parler, on aimerait entendre aujourd’hui ce que dirait le sien à ceux de Jacquemus, de Demna Gvasalia pour Balenciaga, de Marques’Almeida ou de Koché… Cette exposition-témoignage est intéressante, voire nécessaire. Sans elle, qui entendrait encore la voix si personnelle d’Anne Valérie Hash ? Qui percevrait cette rage mise dans la décomposition des vêtements (treillis acheté aux puces, déguisement de clown pour enfant, sarouel rapporté du Maroc, costume d’homme, robe de baptême…), et cette liberté folle dans la recréation de pièces qui tournent, vrillent, flottent, dégueulent ? Qui apprécierait encore le soin qu’elle pouvait mettre à soigner le dos de ses tenues alors que tout le monde lui disait « laisse tomber, on s’en fout du derrière, on ne shoote que l’avant » ?

La dentelle et le zip

Au fil du parcours, les plissés de Lognon jouxtent la passementerie-broderie d’Annette Gabelle, le tissu le plus léger du monde (5 grammes le mètre) voisine avec un tissu de sport réfléchissant recouvert de dentelle. Dentelle omniprésente chez Anne Valérie Hash, qui la poussait souvent dans les derniers retranchements de sa délicatesse en la confrontant aux étoffes masculines ou en lui accrochant un gros zip, dans un équilibre magique et précaire.

A 43 ans, la créatrice, qui avait repéré Lou Lesage dans la rue quand elle était enfant et avait fait d’elle sa muse, son modèle, sa partenaire de jeu, est loin d’avoir réalisé toutes ses envies. La dernière : trouver une riche collectionneuse qui achèterait les cent vêtements ou accessoires de mode repérés sur les podiums et qui lui auraient « remué le cœur ».

Elle énumère avec gourmandise : « Il y aurait, rien que sur la saison dernière, du Vetements, du Comme des garçons, du Loewe… En taille 36, 38, 40. Et moi, dans cinq ans, j’ouvre une boutique à l’opposé d’une logique vintage et pièce unique”, mais en considérant le vêtement comme du vin qui se bonifie et peut mieux se comprendre avec le temps. » Il y a fort à parier que sa couture de l’hiver 2003 ne dénoterait pas une seule seconde auprès des collections automne-hiver 2016-2017 des marques les plus pointues.

« Anne Valérie Hash. Décrayonner », jusqu’au 13 novembre 2013 à la Cité internationale de la dentelle et de la mode, 135, quai du Commerce, Calais. www.cite-dentelle.fr