C’est une nouvelle histoire de citation erronée, qui a connu un certain succès. Déclinée sous forme d’images virales, et reprise par des médias comme Famille chrétienne ou Valeurs Actuelles – qui ne l’ont jamais vérifiée –, elle attribue à Bernard Cazeneuve une charge contre les racines chrétiennes de la France :

« Evoquer les racines chrétiennes de la France, c’est faire une relecture frelatée qui a rendu la France peu à peu nauséeuse. »

capture d'écran/Blog d'un grincheux grave

On trouve très facilement et très fréquemment cette phrase, notamment sur les sites et blogs d’extrême droite et dans la sphère des ultracatholiques, à tout propos ou presque.

Ici à propos d’un message du ministre à la communauté juive sur le site d’extrême droite Medias-presse. info :

capture d'écran

Ou encore citée sur le blog conspirationniste Contre-info :

capture d'écran

Et elle apparaît très régulièrement sur les réseaux sociaux également. Pourtant, cette citation est fausse.

D’où vient l’intox ?

Pour commencer, Bernard Cazeneuve n’a pas été invité par RTL le 5 août 2014 (comme le prétend le blog Grincheux, d’où vient la première capture d’écran ci-dessus)… La fausse citation trouve son origine en 2012. Bernard Cazeneuve est alors l’un des porte-parole de la campagne de François Hollande. Dans une tribune au site Le Plus de L’Obs, titrée « Comment Nicolas Sarkozy a bradé la laïcité », il réagit au concept, alors développé par le président de la République, de « laïcité positive ». Mais dans les 1 500 mots du texte, on ne trouve absolument nulle part la phrase évoquée dans notre fameuse citation.

La laïcité, enjeu de campagne

Le texte contient en réalité plusieurs mots, mais pas dans le bon ordre. Et surtout, il ne dit à aucun moment que le fait d’évoquer les racines chrétiennes de la France en est une « relecture frelatée ».

Que dit Bernard Cazeneuve ? Qu’en 2007, Nicolas Sarkozy avait « préempté […] à la fois De Gaulle et Jaurès, la République et les racines chrétiennes de la France, le message universel de la déclaration des droits de l’homme et l’appartenance de la France à la civilisation occidentale ». Ce qui, à ses yeux, revient à « revisiter la laïcité comme une valeur intangible de la République ».

Après un plaidoyer pour la laïcité, M. Cazeneuve rappelle la fameuse phrase de Nicolas Sarkozy sur « l’instituteur [qui] ne pourra jamais remplacer le prêtre ou le pasteur », et estime que le chef de l’Etat sortant a « atteint » la République dans « ses fondements les plus intangibles » :

« Il s’est employé à banaliser, dans le concert des nations occidentales, la parole de la France. Là où celle-ci s’affirmait laïque, il l’a préférée revendiquant ses racines chrétiennes, là où son message universel la plaçait comme un pont entre les cultures, il a théorisé le choc des civilisations par le truchement d’un ministre de l’intérieur campé dans la provocation. »

En clair, Bernard Cazeneuve estime que Nicolas Sarkozy a trop marqué son attachement au catholicisme et trop stigmatisé l’islam et les musulmans, et craint que, en conséquence, « de mauvais amalgames n’aboutissent à l’enfermement de groupes entiers dans le communautarisme, au grand préjudice de la morale républicaine qui rassemble ».

Des racines chrétiennes assumées

Mais dans ce texte, le futur ministre de l’intérieur ne nie pas les racines chrétiennes de la France. Il les évoque à trois reprises, sans guillemets, et dans trois phrases qui montrent au contraire qu’il les reconnaît :

« […] préempter avec un art consommé de la triangulation, à la fois de Gaulle et Jaurès, la République et les racines chrétiennes de la France […] »
« En accusant la laïcité de couper la France de ses racines chrétiennes, il a réintroduit la religion au cœur du discours politique… »
« Là où celle-ci s’affirmait laïque, il l’a préférée revendiquant ses racines chrétiennes… »

Bref, Bernard Cazeneuve ne dit jamais que ces racines seraient une « relecture frelatée ». Et assume qu’elles sont réelles.

Cette expression vient d’un autre passage, au début du texte, où il écrit, sans désigner spécifiquement M. Sarkozy, mais « ceux qui la dirigent encore » (la France) :

« A force de synthèses politiques douteuses et de relectures historiques frelatées, ils ont rendu la France peu à peu nauséeuse. »

Un commentaire transformé en verbatim

D’où vient la confusion ? Sans doute d’un article de Pauline Quillon (passée également par Valeurs Actuelles et qui travaille actuellement pour le diocèse de Paris) dans le magazine Famille chrétienne, publié deux ans plus tard, le 3 avril 2014, et titré « Bernard Cazeneuve, le faux gentil ». Il contient un extrait tronqué du texte du ministre de l’intérieur, qui fait le lien entre « racines chrétiennes » et « relecture frelatée ».

Extrait d'un article de "Famille chrétienne" d'où provient sans doute la confusion.

Mais l’article prend soin d’ajouter des guillemets pour indiquer les passages cités. C’est donc la journaliste qui fait ce rapprochement. D’autres auront encore moins de scrupules.

Le site Boulevard Voltaire du maire apparenté FN de Béziers, Robert Ménard, publie le 24 juillet 2014 un article qui s’embarrasse moins de nuances, et estime :

« [M. Cazeneuve] affirmait en 2012 qu’évoquer les racines chrétiennes de la France, c’était “faire une relecture historique frelatée” qui a “rendu la France peu à peu nauséeuse”, et “brader l’héritage laïque de la France”. »

Là encore, les guillemets permettent de distinguer la citation et le commentaire. Mais l’association est à nouveau faite.

Le journal régional Paris Normandie reprend, lui, la phrase en entier dans un article de décembre 2014, sans plus de guillemets :

Il n’en faut pas plus pour que ce qui était une phrase de commentaire construite à partir d’un texte devienne une citation, allégrement reprise. Au point que lorsque M. Cazeneuve répète, début 2016, que « les racines chrétiennes de la France sont incontestables », une partie de la « cathosphère » y voit un renoncement, voire un revirement.

Le ministre de l’intérieur ne défend pas le djihad

Bernard Cazeneuve, décidément, inspire souvent des intox. Outre la fausse citation sur les « racines chrétiennes » de la France, une phrase à propos du djihad circule souvent :

Mais là encore, il s’agit d’une citation tronquée, comme l’avait montré la rubrique de vérification de France Info, « Le Vrai du faux » : M. Cazeneuve n’était pas invité de RTL le 5 août 2014, et il n’a jamais prononcé ces mots sur l’antenne de cette radio. C’est probablement dans un article du journal Metronews, à la suite d’une polémique autour d’un livre, qu’on peut retrouver cette phrase. Et elle n’est pas de M. Cazeneuve mais de son cabinet :

« On ne peut pas interdire des livres dès qu’ils sont choquants. S’il n’y a pas d’appel à la haine ou d’apologie au terrorisme, on ne peut pas l’interdire. Ce n’est pas un délit de prôner le djihad, ce n’est pénalement pas répréhensible. »

En clair, la notion de « djihad » n’est pas en soi un délit suffisant pour faire interdire le livre en question, car la loi ne prévoit pas ce cas. En revanche, la loi punit l’appel à la haine ou l’apologie du terrorisme.

Résumons donc :

  • Bernard Cazeneuve n’était pas sur RTL à cette date.
  • Il n’a pas prononcé cette phrase.
  • Ces propos n’ont pas la signification qu’on leur prête.