Les bureaux de Mossack Fonseca à Shanghaï, le 6 avril. | JOHANNES EISELE / AFP

Trois jours après la publication des premières révélations concernant les sociétés offshore créées par la firme panaméenne Mossack Fonseca, nous poursuivons le suivi en direct des nouvelles informations et de leurs conséquences. Nous avons sélectionné ci-dessous quelques-unes des questions les plus récurrentes.

Quel intérêt peut-on avoir à créer légalement une société offshore ?

La création d’une société offshore à l’étranger est légale si cette dernière exerce une activité économique dans le paradis fiscal où elle est implantée. Il n’est pas obligatoire de la déclarer si elle n’a pas d’activité commerciale en France et que moins de 10 % de cette société sont détenus par des résidents fiscaux français. C’est ainsi que plusieurs clients français de Mossack Fonseca, contactés par Le Monde, ont justifié la création de leur société offshore par leur désir de s’implanter sur d’autres continents.

« Le Monde » va-t-il publier la liste des Français concernés par les « Panama papers » ?

Comme nous l’avons plusieurs fois annoncé, Le Monde ne fournira aucune donnée personnelle sur les noms français apparaissant dans les documents. La majorité des clients de Mossack Fonseca est constituée d’anonymes. Une partie font office de prête-noms pour dissimuler les véritables bénéficiaires de ces comptes ou sociétés offshore. Par ailleurs, comme on l’a vu, posséder ou utiliser une société offshore n’est pas une pratique illégale si son propriétaire la déclare au fisc.

Pourquoi ne remettez-vous pas les données au fisc ou à la justice ?

C’est la ligne du Monde à chaque opération de la sorte, ainsi que celle du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Il s’agit de protéger les sources d’une part, pour ne pas risquer de les exposer et les mettre en danger. D’autant plus qu’il ne s’agit pas de « nos » données mais de celles de 109 rédactions au total.

Il s’agit d’autre part d’une question déontologique : les journalistes sont là pour informer leurs lecteurs, mais pas pour être des informateurs de la police ou de l’Etat. Notre crédibilité à long terme en pâtirait.

Les fraudeurs concernés par cette enquête seront-ils poursuivis par la justice ?

Il est possible que les exilés fiscaux français présents dans les « Panama papers » soient inquiétés par le fisc et la justice française. Il faudra cependant que le ministère des finances mène sa propre enquête ou se procure les données.

Il est possible que d’autres pays aient acheté des fractions des données provenant de Mossack Fonseca, mais la loi française l’interdit formellement. Elle peut toutefois bénéficier des données obtenues par d’autres pays partenaires dans le cadre de la coopération internationale.

Si le fisc français réussit à établir la fraude fiscale de ces personnes, il n’est pas dit qu’ils seront poursuivis par la justice car, en France, celle-ci doit obtenir l’autorisation du ministre du budget et des finances pour poursuivre un fraudeur – c’est une spécificité française appelée le « verrou de Bercy ». Chaque année, environ 1/16e des fraudeurs fiscaux sont poursuivis pénalement.

Quel est le parti politique français touché par les révélations des « Panama papers » ?

Parmi les noms cités par nos enquêtes, ceux de proches du Front national. L’enquête des « Panama papers » montre comment deux membres de l’entourage de Marine Le Pen (Frédéric Chatillon et Nicolas Crochet) ont créé des montages financiers offshore dans plusieurs paradis fiscaux. MM. Chatillon (patron de Riwal, prestataire exclusif du FN sur sa communication) et Crochet (expert-comptable chargé en 2012 du programme économique du FN) ont ainsi fait sortir illégalement de l’argent de France via plusieurs sociétés-écrans.

Par ailleurs, plusieurs éléments indiquent que Jean-Marie Le Pen et sa femme Jeanine auraient utilisé leur ancien majordome et homme de confiance, Gérald Gérin, comme prête-nom pour dissimuler une partie de la fortune de l’ancien président du Front national via une société offshore.

Mais nous avons aussi évoqué d’autres hommes politiques, de Patrick Balkany (Les Républicains) à Jean-Noël Guérini (ex-Parti socialiste).

Pourquoi la France a-t-elle retiré le Panama de sa liste noire en 2012 ?

Le Panama est sorti de cette liste lorsqu’il a signé une convention fiscale avec la France le 30 juin 2011 (entrée en vigueur début 2012), sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en raison d’une promesse d’intense coopération entre administrations fiscales. Il n’a pas pour autant cessé d’être un paradis fiscal.

En France, un pays non coopératif en matière fiscale n’est pas forcément un paradis fiscal, c’est un pays n’ayant signé aucune convention fiscale avec la France. Une convention fiscale est un accord bilatéral permettant d’éviter la double imposition des résidents de deux pays.

Comment le Panama a-t-il réagi et quelles seront les conséquences pour l’économie française ?

Le gouvernement panaméen a annoncé qu’il allait prendre des mesures de rétorsion contre la France. « Au Panama, il existe une loi qui prévoit des mesures de rétorsion contre les pays qui incluraient le Panama sur les listes grises », a déclaré lors d’une conférence de presse le directeur de cabinet de la présidence, Alvaro Aleman.

Pourquoi y a-t-il si peu d’Américains ?

Le magazine Fusion, partenaire américain de l’enquête, a compté 211 personnes ayant enregistré leur société avec une adresse aux Etats-Unis. La plupart sont des citoyens anonymes, et rien n’indique qu’ils soient résidents fiscaux américains ni qu’ils aient la nationalité américaine.

A titre de comparaison, on trouve un millier de noms français dans les fichiers sur lesquels Le Monde a travaillé. Cette faible présence américaine s’explique par plusieurs raisons :

  • Mossack Fonseca n’est pas le seul cabinet spécialisé dans la création de sociétés offshore. D’autres existent, comme son concurrent Morgan & Morgan.

  • La fiscalité américaine est plus faible, avec un taux de prélèvement d’environ 24 %. En 2010, ce taux s’élevait à 34 % dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

  • La lutte contre l’évasion fiscale s’est durcie ces dernières années. Depuis la mise en place en 2010 de la loi Fatca (« Foreign account tax compliance act »), les banques doivent désormais signaler au fisc tout client détenant plus de 50 000 dollars. Les comptes étrangers de plus de 10 000 dollars doivent également être déclarés chaque année.

  • Certains Etats comme le Delaware, le Wyoming ou le Nevada sont considérés comme des paradis fiscaux. Ils permettent de cacher le bénéficiaire d’une société à travers une structure opaque, tant que celle-ci n’a pas d’actionnaire américain ni d’activité aux États-Unis.

Qui finance l’ICIJ ?

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui regroupe les 110 médias impliqués dans l’enquête sur les « Panama papers », est une organisation à but non lucratif créée en 1997.

L’ICIJ est ouverte aux dons en ligne des particuliers, ainsi qu’aux financements de donateurs privés, dont on trouve la liste sur son site :

  • L’Adessium Foundation (Pays-Bas), qui finance notamment des initiatives d’intérêt public.

  • L’Open Society Foundations du milliardaire américain George Soros, qui finance des initiatives variées dans le domaine de l’éducation, de la santé ou de l’information.

  • Le Sigrid Rausing Trust (Royaume-Uni), qui finance des organisations de défense des droits.

  • La Fritt Ord Foundation (Norvège), une organisation à but non lucratif qui finance des initiatives en faveur de la liberté d’expression.

  • Le Pulitzer Center on Crisis Reporting (Etats-Unis), une organisation à but non lucratif qui finance des projets journalistiques.

  • La Ford Foundation (Etats-Unis), qui investit notamment dans des programmes éducatifs, d’innovation ou des projets journalistiques.

  • La David and Lucile Packard Foundation (Etats-Unis), qui contribue notamment à des programmes éducatifs, scientifiques et environnementaux.

  • Le Pew Charitable Trusts (Etats-Unis), qui finance des programmes dans les secteurs de l’information, des politiques publiques et de la culture.

  • La Waterloo Foundation (Royaume-Uni), qui contribue à des projets environnementaux ou éducatifs.

« Il y a un mur pare-feu entre nos bienfaiteurs et notre travail. Ceux qui nous financent ne sont pas informés à l’avance des sujets sur lesquels nous enquêtons. Si jamais nous tombons sur leurs noms, nous continuerons bien sûr à enquêter », assurait à Libération Marina Walker Guevara, numéro deux de l’ICIJ, en 2013.

Où trouver la liste des médias partenaires ?

Le Monde est partenaire de l’opération avec 108 autres médias dans le monde entier. La liste complète est disponible sur le site de l’ICIJ.

Les « Panama papers » en trois points

  • Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
  • Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
  • Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.