Emmanuel Macron (à gauche), et le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy (au centre), lors du déplacement du ministre de l'économie à la centrale nucléaire de Civaux (Vienne), jeudi 17 mars. | GUILLAUME SOUVANT / AFP

Pas d’investissement d’EDF dans les deux réacteurs à eau pressurisée européens (EPR) de Hinkley Point (sud-ouest de l’Angleterre) sans un effort de l’Etat actionnaire sur le dividende ou son accord pour la vente de certains actifs, comme Réseau de transport d’électricité (RTE) contrôlé à 100 % par EDF. C’est le cœur de la négociation que le PDG du géant de l’électricité a engagée, il y a quelques semaines, avec le ministre de l’économie.

Jean-Bernard Lévy en a reparlé avec Emmanuel Macron, jeudi 17 mars, lors de la visite de la centrale nucléaire de Civaux (Vienne), prévue de longue date dans le cadre de La semaine de l’Industrie. Et va peut-être progresser vendredi, au cours d’un entretien en tête-à-tête à Bercy, vers un accord qui ouvrirait la voie à la décision finale d’investissement dans le projet britannique.

« L’Etat actionnaire a été court-termiste »

A Civaux, le ministre de l’économie a annoncé que l’Etat fera un effort. « S’il y a besoin de recapitaliser, nous le ferons », a t-il indiqué. Et « s’il y a besoin de renoncer encore aux dividendes, nous le ferons », a-t-il ajouté lors d’une visite où il a été accueilli par les sifflets de salariés d’EDF en colère contre ses récentes déclarations sur les augmentations salariales trop généreuses de ces dernières années. « On va tous faire des efforts. L’Etat actionnaire a commencé à le faire », a souligné le ministre en faisant allusion à la décision de l’Etat de renoncer à son dividende en numéraire.

Ces dernières années, « l’Etat actionnaire a été trop court-termiste » dans sa stratégie à l’égard d’EDF, a-t-il jugé. « La dynamique salariale a été déconnectée » de l’évolution de la situation économique de l’entreprise et « le compromis social a été trop généreux », a-t-il réitéré, sans citer le prédécesseur de M. Lévy, Henri Proglio, qui avait accordé de généreuses hausses salariales. M. Macron a précisé qu’il déciderait de l’aide à EDF d’ici au début mai, tout en prévenant que renoncer à Hinkley Point serait « une erreur ».

Ce projet a pourtant été à l’origine de la démission surprise – et qualifiée de « scandaleuse » par l’État – du directeur financier d’EDF début mars. Thomas Piquemal estimait, en effet, que la situation du groupe ne lui permettait pas de se lancer aussi rapidement dans une opération à 24 milliards d’euros, dont les deux tiers seront à la charge de l’électricien (16 milliards) au côté de son partenaire chinois CGN qui financera le tiers restant (8 milliards).

Ce refus de toute précipitation est partagé par certains dirigeants et par tous les syndicats de la maison (à l’exception de la CFDT), pourtant favorables à la relance du nucléaire outre-Manche par la filiale EDF Energy.

Un environnement dégradé

Face à cette fronde inédite, M. Lévy a dû s’en expliquer en interne. Dans une lettre adressée le 11 mars aux salariés, il indique qu’il a demandé « des engagements » à l’État, actionnaire de l’électricien à 84,5 %, pour « sécuriser la situation financière » du groupe. Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra lancer Hinkley Point et avoir quelque chance de mettre la centrale en service en 2025, comme il s’y est engagé auprès du gouvernement britannique.

« Il est clair que je n’engagerai pas EDF dans ce projet tant que ces conditions ne seront pas réunies », souligne-t-il.

Et cela, même si Hinkley Point ne représentera que 15 % des investissements annuels du groupe.

Depuis le lancement du projet anglais, l’environnement économique s’est dégradé. Les prix de l’électricité se sont effondrés en Europe. EDF ne parvient pas à réduire une dette de 37,5 milliards d’euros, ni à dégager un flux de trésorerie disponible positif, même si c’est son objectif à partir de 2018. Une situation que M. Lévy avait pointée du doigt dès sa nomination, fin 2014. Or l’entreprise doit également financer le « grand carénage » de ses 58 réacteurs français pour en renforcer la sûreté. Cette opération lui coûtera 100 milliards d’euros sur les quinze prochaines années, vient de calculer la Cour des comptes.

Selon le magazine économique Challenges, l’Etat pourrait se faire payer son dividende en actions et non en cash pendant cinq ans, ce qui lui permettrait de conserver quelque 11,7 milliards d’euros dans ses caisses – l’équivalent d’une augmentation de capital. BNP Paribas travaille sur le dossier, selon une source citée par l’AFP. « Tout est sur la table », expliquent plusieurs sources au sein d’EDF ou de l’Agence des participations de l’Etat (APE). M. Lévy a réfuté, jeudi, le montant d’une telle recapitalisation de fait de son entreprise.

Un projet coûteux

Autre piste sérieuse et complémentaire : l’ouverture du capital de RTE. La cession de 50 % du gestionnaire des lignes à haute tension à une institution publique comme la Caisse des dépôts et consignations rapporterait entre deux et trois milliards. « La vente d’une part de 25 % dans RTE pourrait désendetter l’électricien de quelque 3,5 milliards d’euros », estime la banque Natixis.

Renoncer à Hinckley Point hypothéquerait les chances de la France en Inde, en Afrique du Sud et en Europe de l’est, qui s’intéressent aux EPR

Enfin, un rendez-vous capital est prévu fin mai. Comme la loi le prévoit désormais, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) proposera une hausse des tarifs réglementés des 28 millions de particuliers clients d’EDF. Cette augmentation devra refléter les coûts de l’entreprise. Or il est possible qu’à un an de l’élection présidentielle, l’État y mette son veto s’il la juge trop élevée. La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a déjà prévenu que cette revalorisation serait limitée.

Le projet d’Hinkley Point est vital pour EDF et la relance de la filière nucléaire française | JUSTIN TALLIS / AFP

Même coûteux et risqué, le projet d’Hinkley Point est vital pour EDF et la relance de la filière nucléaire française, souligne Xavier Ursat, directeur exécutif d’EDF chargé de l’ingénierie et des nouveaux projets nucléaires. Y renoncer hypothéquerait lourdement les chances de la France en Inde, en Afrique du Sud et en Europe de l’est, qui s’intéressent aux EPR, a-t-il expliqué, mercredi, lors de la conférence annuelle de la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN).

Et cela ébranlerait aussi le partenariat stratégique avec la Chine, qui construira la moitié des réacteurs prévus dans le monde au cours des deux prochaines décennies, selon M. Ursat. Une analyse partagée par le gouvernement, qui veut absolument qu’EDF aille au bout de sa démarche en Grande-Bretagne.