Comprendre la mission ExoMars en 3 minutes
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Le Vieux Continent repart à l’assaut de la Planète rouge. Lundi 14 mars à 10 h 33 (heure de Paris), a décollé de la base de Baïkonour, au ­Kazakhstan, une fusée russe avec à son bord la sonde TGO (pour Trace Gas Orbiter) et un module d’atterrissage nommé Schiaparelli. Ce dernier devrait se poser sur la surface de Mars le 19 octobre pour deux à quatre jours d’expériences sur le sol ­sableux de Meridiani Planum, une ­région de ­l’hémisphère Sud déjà explorée en 2004 par le rover Opportunity de la NASA. Le conditionnel est de rigueur car la mission, baptisée ExoMars 2016, est à haut risque. La confirmation de la séparation de la sonde, du déploiement de ses panneaux solaires et de la bonne trajectoire de la mission ne sera disponible qu’une douzaine d’heures après le lancement.

« On est prêts. Nous avons tout fait pour que cela marche », confiait peu avant le lancement Jorge Vago, l’un des deux responsables scientifiques de ce ­programme, baptisé ExoMars par l’Agence spatiale européenne (ESA), qui s’articule autour de deux missions, l’une en 2016 et l’autre en 2018. Les craintes sont cependant nombreuses.

« On apprend toujours de nos échecs »

D’abord, ExoMars fait suite à un échec européen en décembre 2003. Lancé en même temps que la sonde Mars Express, le rover ­Beagle 2 avait bien été largué vers son objectif mais n’avait plus donné signe de vie ensuite. Une image de la sonde américaine Mars Reconnaissance ­Orbiter publiée en janvier 2015 a toutefois montré que l’engin avait touché la surface et que deux de ses trois panneaux solaires s’étaient déployés. « On apprend toujours de nos échecs », explique, philosophe, ­Jean-Jacques Dordain, qui fut directeur de l’ESA de 2003 à 2015.

La mission ExoMars s’envole pour la Planète rouge
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Schiaparelli bénéficiera donc des leçons de son prédécesseur, en étant, par exemple, doté de ­capteurs qui ­permettront de suivre sa descente en chute libre, ce que n’avait pas Beagle 2. Les ­contrôles et les essais ont également été multipliés et renforcés.

Ensuite, une incertitude concernait le lanceur, une fusée russe Proton. Depuis 2012, elle a enregistré quatre échecs, dont une explosion du premier étage en juillet 2013. Les autres concernaient des avaries au dernier étage, évidemment crucial puisque c’est ­celui qui contient TGO et Schiaparelli…

« Chaque lancement est un exploit. Il n’y a jamais de routine », rappelle Jean-Jacques Dordain. « Nous ne l’avons pas choisi, mais il y a de fortes chances que nous arrivions pendant la ­saison des tempêtes martiennes  », ajoute Jorge Vago. « A cause de la très faible pression, 100 km/h de vent sur Mars ont les ­effets de vents terrestres de 1 km/h ­seulement », précise-t-il pour relativiser la mise en scène catastrophiste du film Seul sur Mars, de Ridley Scott, où des vents manquent de renverser une fusée destinée au retour sur Terre. Malgré tout, les grains de poussière microscopiques qui frapperont les boucliers de l’atterrisseur suffiront à compliquer la descente.

La mission a failli ne ­jamais voir le jour

Photo-montage montrant la sonde Trace Gaz Orbiter ainsi que le module Schiaparelli destiné à se poser sur la Planète rouge. | ESA/ATG MEDIALAB

Enfin, cela fait près de quinze ans que les promoteurs d’ExoMars se rongent les ­ongles. Car la mission a bien failli ne ­jamais voir le jour. « On s’est bagarrés pour l’avoir », témoigne Jean-Pierre ­Bibring, ­professeur à l’université Paris-Sud et ­responsable d’un des instruments de la mission.

Commencée comme un projet de l’ESA seule, elle était conçue au départ comme un démonstrateur technologique censé prouver que l’Europe pouvait se ­poser sur Mars. Un lanceur Soyouz, ­porteur de ­faibles charges, devait suffire.

Puis les scientifiques ont voulu ajouter des instruments au prototype ; le module s’est alourdi. Une fusée plus puissante, Ariane 5, devenait nécessaire et… trop chère. Les Européens toquent donc à la porte des Américains, qui acceptent, mais en scindant la mission en deux : un premier vol pour ­placer en orbite une sonde qui pourrait faire des mesures et servir de relais radio avec la Terre.

Un second pour poser sur Mars un ­rover complet grâce au savoir-faire de la NASA. Report donc du lancement de 2009 à 2011, puis 2013, et finalement 2016.

Mais en 2011, l’agence américaine jette l’éponge pour des questions de budget et abandonne l’Europe… qui sollicite la Russie. Le principe de la double mission reste, mais les lanceurs seront russes ainsi que l’atterrisseur. Or la Russie, qui a à son actif bien des premières ­spatiales, n’est jamais parvenue à se ­poser correctement sur Mars.

Le succès d’ExoMars 2016 ­paraît indispensable à ExoMars 2018

Pour en finir avec la course d’obstacles, la deuxième moitié de la mission, ­ExoMars 2018, n’est pas encore totalement ­financée, le coût pour l’Europe étant de 1,3 milliard d’euros. Une réunion dite interministérielle de l’ESA doit se tenir avant la fin de l’année notamment pour régler cette question. Le succès d’ExoMars 2016 ­paraît indispensable à ExoMars 2018. Il n’est pas sûr non plus que le délai de 2018 soit tenu, ce qui ­reporterait le lancement du ­rover de deux ans ­supplémentaires, le temps que la Terre et Mars retrouvent une configuration ­orbitale favorable. Cette mésaventure vient d’arriver à la mission ­Insight : prévue cette année, elle a été ­reportée à cause d’un ­problème technique sur un des instruments de sismologie.

A quoi bon tant insister pour aller sur et autour de Mars ? « Cette planète est une cousine de la Terre, elle permet donc de mieux comprendre notre histoire », explique François Forget, directeur de ­recherche au CNRS, au Laboratoire de météorologie ­dynamique. « C’est comme une image ­arrêtée de l’évolution », ajoute ­Cathy Quantin-Nataf, ­géologue à l’université Lyon-I. Le ­premier milliard d’années de ces deux ­planètes, âgées d’environ 4,5 milliards d’années, a été celui pendant lequel la vie est apparue sur Terre. Qu’en a-t-il été sur Mars ? Pourquoi les destins de ces ­cousines ont-ils divergé ?

« Si l’on veut comprendre comment la vie est apparue sur Terre, c’est peut-être sur ces terrains martiens qu’on pourra le savoir »

L’Europe espère contribuer à apporter des réponses, en 2016 depuis l’atmosphère martienne et en 2018 en posant un rover autonome sur la surface, même si, à l’origine, les objectifs d’ExoMars étaient plus technologiques que scientifiques  : ­acquérir du savoir-faire dans le ­domaine de l’entrée dans l’atmosphère et dans ­celui de l’atterrissage, et disposer d’un ­relais radio pour de futures ­missions ­d’exploration de surface.

Dans la version actualisée, ­plusieurs mesures seront effectuées pour nourrir les connaissances. Cette année, ­durant la descente de Schiaparelli, des ­données ­seront enregistrées pour connaître l’état physique de l’atmosphère (pression, température, vents…). Puis, au sol, pendant une durée courte, d’autres mesures seront réalisées. L’une d’elles est assez originale, MicroARES (la seule sous responsabilité française) : évaluer le champ électrique à la surface.

Les chercheurs soupçonnent, en ­effet, que les frictions entre les grains de poussière microscopiques créent des ­charges électriques et des décharges, voire des éclairs ! Ils pensent aussi que ce champ pourrait jouer un rôle dans le  déclenchement des fameuses tempêtes en déplaçant les grains chargés.

Les Européens tenteront de se poser sur Mars. | Le Monde

La grande affaire d’ExoMars 2016 sera celle du méthane, un gaz simple, constituant du gaz de ville terrestre mais qui ­empoisonne les chercheurs depuis ­plusieurs années. Y en a-t-il ou non sur Mars ? Si oui, d’où vient-il ? Et pourquoi en reste-t-il aussi peu dans l’atmosphère alors que, normalement, il devrait persister des siècles avant d’être détruit par le rayonnement solaire ? Ce qui est ­certain c’est que, s’il existe, c’est à l’état de traces puisque ­l’atmosphère est constituée d’environ 96 % de CO2, de 2 % ­d’argon et d’autant d’azote. En 2004, à peine ­arrivée sur son orbite, la sonde européenne Mars Express avait détecté la présence de méthane. Mais les mesures étaient à la limite de la sensibilité des appareils : quelques molécules parmi un milliard.

En 2009, depuis des télescopes terrestres, une équipe américaine a ­repéré des panaches gazeux ténus et ­intermittents dans trois régions distinctes de la planète. Mais la même équipe ­n’arrivait plus à en distinguer lors d’observations suivantes. De même, le robot Curiosity, arrivé en août 2012 sur Mars, n’a rien trouvé dans un premier temps. Pour ­finalement, en 2015, annoncer qu’il a lui aussi reniflé ce gaz dans d’infimes ­proportions et pas en permanence. Et les chercheurs travaillant sur la sonde indienne Mangalyaan, en orbite ­depuis 2014 et sensible au ­méthane, n’ont communiqué pour l’instant aucun résultat.

« L’Europe a une carte à jouer dans cette ­histoire de méthane », insiste Francis ­Rocard, responsable au CNES du ­programme ­d’exploration du Système ­solaire. Pourquoi tant d’intérêt autour de ce gaz constitué d’un atome de carbone et de quatre d’hydrogène ? C’est que, sur Terre, l’essentiel de ce gaz est d’origine biologique, émis soit par la flore intestinale des ruminants, soit par ­fermentation bactérienne dans les marécages ou les rizières. Trouver du ­méthane dans l’atmosphère martienne ­serait donc une preuve de vie.

Sauf que… c’est plus compliqué. Des processus physico-chimiques peuvent également fabriquer cette molécule. Un peu d’eau chaude sur des minéraux de fer crée de l’hydrogène qui, en réagissant avec du dioxyde de carbone, très abondant, peut produire du méthane. « Cela existe sur Terre, en Turquie par exemple, où des flammes sortent littéralement du sol depuis trois mille ans », témoigne Pierre Thomas, géologue de l’ENS Lyon. Il faut donc, si on en trouve, localiser précisément la provenance de ce gaz pour faire le lien éventuel avec le type de sol et tenter ­d’affiner le portrait de son origine, organique ou non. Il faudra aussi comprendre pourquoi il ne s’accumule pas dans ­l’atmosphère et est détruit. « Certains évoquent des processus électrochimiques qui dégraderaient cette molécule. Les poussières pourraient jouer un rôle en créant ces champs électriques inducteurs de réactions chimiques », estime François Forget.

Dans le nez des chercheurs il n’y a pas que le ­méthane. La sonde TGO dispose en effet de ­différents capteurs sensibles à bien d’autres molécules à l’état de traces. « On pourrait trouver de l’éthane ou du propane, qui eux ont plus de chances d’être d’origine ­seulement organique », imagine Jorge Vago. « La liste des molécules inconnues que nous pourrions trouver est grande », estime ­François Forget. Et de ­citer, par exemple, le soufre sous sa forme oxydée ou hydrogénée qui est aussi un marqueur d’activité volcanique. Ou des substances azotées au cycle ­encore ­inconnu.

En complément, un ­instrument détectera les neutrons émis ­depuis le sol. Ces particules proviennent de la cassure des noyaux d’atomes sous ­l’effet des rayons cosmiques dont Mars n’est plus protégée. Mais ces bouffées de neutrons sont ­atténuées en présence d’eau. Du coup, TGO cartographiera la présence d’eau ­glacée sous la surface.

« ExoMars 2016 est belle, ExoMars 2018 sera superbe ! »

Très techniques, toutes ces connaissances n’apporteront sans doute pas les ­réponses tant attendues sur les traces éventuelles de vie. Il faudra attendre le ­rover de 2018. ­Celui-ci sera, en effet, le ­premier au monde à creuser profondément la croûte martienne. Sa foreuse ­percera de 50 centimètres jusqu’à deux ­mètres de profondeur, contre ­quelques centimètres seulement pour le ­robot ­Curiosity.

La ­différence majeure est que les échantillons prélevés auront été ­préservés des attaques chimiques de surface et des effets destructeurs des rayons ­cosmiques. Les ­chercheurs espèrent alors trouver des molécules organiques ­complexes ou bien des indices d’activités biologiques comme des biofilms. « C’est un défi monstrueux ! », note Sylvestre Maurice, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie à Toulouse, ­coresponsable d’un instrument du rover.

Pour multiplier leurs chances, les ­chercheurs ont choisi en conséquence le lieu de l’atterrissage. Oxia Planum, située juste au-dessus de l’équateur, remplit toutes les caractéristiques souhaitées par l’ESA. ­Horizontale pour faciliter l’arrivée. Large de plus de 100 kilomètres pour avoir une marge de sécurité. Peu élevée (3 000 mètres sous l’altitude moyenne), pour augmenter le temps passé dans la fine atmosphère martienne qui freine la descente. Et surtout ­ancienne et ­argileuse.

Les terrains sont ainsi âgés de 3,9 milliards d’années et ont été ­durablement immergés sous un lac ou une mer propice à déposer des sédiments. ­Curiosity avance sur des terrains plus jeunes d’au moins 500 millions d’années et n’a pas trouvé beaucoup ­d’argile. Oxia ­planum s’annonce comme l’endroit ­parfait pour mettre la main sur ces ­fameuses ­traces de vie. « Si l’on veut ­comprendre comment la vie est apparue sur Terre, c’est peut-être sur ces terrains martiens comme Oxia planum et Mawrth Vallis, qu’on pourra le savoir », rappelle ­Jean-Pierre Bibring. « ExoMars 2016 est belle, ExoMars 2018 sera superbe ! », ­résume, plein d’espoir, Jorge Vago.