Imaginerait-on un instant faire la fine bouche si « l’affaire » concernait des hommes ? En football, deux clubs français en demi-finale de Ligue des champions, cela n’arrive pas souvent. Même jamais, chez les messieurs. Du côté des footballeuses, le PSG et l’OL y sont parvenues cette saison. Les deux équipes phares de la D1 féminine s’affrontent lundi 2 mai (20 h 45) lors du match retour au Parc des Princes avec en ligne de mire un ticket pour la finale. Malgré cela, la soirée s’annonce tout sauf palpitante.

Lors du match aller, dimanche 24 avril au nouveau Parc OL, il y eut pourtant du spectacle. Sept buts en tout. Un festival offensif épicé par quelques pépites, comme ce délice de coup franc de la Lyonnaise Camille Abily ou la spectaculaire frappe enroulée de sa coéquipière, Louisa Necib. En tribunes, on comptait quelque 22 000 spectateurs, nouveau record pour un match de football féminin en France. Problème, les 7 buts ont été inscrits par la même équipe. A la mi-temps, les Lyonnaises menaient déjà 5-0. L’affaire était pliée. Avant même le match retour, nous connaissions déjà le principal absent au Parc des Princes : le suspense.

« Problème d’état d’esprit »

« J’ai honte, a réagi à chaud Farid Benstiti, l’entraîneur - encore pour l’instant - du PSG. Cela fait quinze ans que j’entraîne et, même lorsque j’étais avec le FC Lyon (l’ancêtre de l’OL, chez les féminines), je n’ai jamais pris 7-0. Il y a quelque chose qui ne va pas. Il est possible que ce soit moi. Le club prendra une décision. Aujourd’hui, j’assume complètement mes responsabilités, mais assumer tout, non. » Et celui qui fut le coach des joueuses lyonnaises entre 2001 et 2010, de préciser sa pensée : « Ce n’est pas Farid Benstiti qui prend 7-0, c’est le club. Il faut que celui-ci mène une réflexion sur le long terme pour son équipe féminine. Ce n’est pas un problème d’argent, mais certainement un problème d’état d’esprit. »

De l’argent, les Parisiennes en ont pas mal depuis le rachat par les Qataris. Certes, cela ne suffirait pas à payer six mois de paie d’Ibrahimovic, mais leur budget, en hausse ces dernières années et qui avoisine les 7 millions d’euros, dépasse aujourd’hui celui des Lyonnaises (environ 5,5). Dans le football féminin, personne ne dispose d’une telle enveloppe en France. Du reste, les joueuses de la capitale ont peu à peu comblé leur retard sportif sur l’Olympique lyonnais, étoffant leur effectif au gré des mercatos. La saison dernière, le PSG a d’ailleurs réussi à éliminer l’OL en huitièmes de finale de la Coupe d’Europe, avant de parvenir jusqu’à la finale, perdue de justesse face au FFC Francfort (2-1).

La déroute du 24 avril doit-elle donc être considérée comme un simple accident ? Oui et non. Oui, car elle s’explique, en partie, par trois blessures de joueuses parisiennes (Laure Boulleau, Laura Georges, Kheira Hamraoui), qui ont poussé l’entraîneur à réaliser autant de changements précoces, dont deux en défense. Oui car le PSG, hormis une large défaite en championnat (5-0) cette saison, a, ces dernières années, plutôt fait bonne figure lors de ses confrontations face à la formation du président Jean-Michel Aulas. Mais non, car cette déroute illustre une réalité : si le PSG version qatarie écrase le football hexagonal chez les hommes, c’est encore loin d’être le cas du côté des féminines, toujours derrière les Lyonnaises. Ce printemps, l’OL devrait remporter son dixième titre national consécutif, même si Paris reste en embuscade, à trois points.

Alors, quel est ce « problème d’état d’esprit » ? Peut-être encore un manque de considération des dirigeants parisiens. En octobre 2014, la défenseure parisienne Laura Georges, ancienne joueuse de l’OL, avait tenu ces propos au Monde concernant le président Nasser Al Khelaïfi : « C’est mon président, mais on ne le voit pas aux matchs des féminines. Il est venu une ou deux fois seulement la saison passée. On peut dire de Jean-Michel Aulas qu’il est très présent dans les médias, mais c’est un manageur près de ses joueurs. Si son équipe féminine en est là, c’est parce qu’il s’investit avec ses moyens, mais aussi en tant que personne. » La joueuse avait conclu ainsi ses pensées : « Il y a encore du boulot à faire au niveau des dirigeants de notre club. »

La situation progresse, comme le souligne le fait que la rencontre soit organisée au Parc des Princes. Il sera toujours possible de penser que l’élimination des hommes en Coupe d’Europe a facilité les choses, mais une telle situation - voir des femmes jouer au Parc des Princes - n’aurait même pas été envisagée il y a quelques années. Toujours est-il que la culture du football féminin reste nettement moins ancrée à Paris qu’à Lyon.

« A Lyon, cela fait beaucoup de temps que les joueuses évoluent ensemble, puisqu’une bonne majorité a été formée à Clairefontaine, de la promotion Camille Abily, Sarah Bouhaddi, explique Brigitte Henriques, secrétaire générale de la Fédération française de football (FFF) chargée du développement du football féminin. Il y en a pas mal qui jouent ensemble depuis des années, les joueuses se connaissent par cœur. (…) Même si le PSG a un budget élevé, une équipe, ça se construit dans le temps. »

Un cruel manque de densité

Au-delà de la rivalité entre le PSG et l’OL, la déroute des Parisiennes est surtout venue rappeler que le football féminin manque encore cruellement de densité en Europe. En seizièmes de finale, les joueuses de l’OL ont étrillé les Polonaises du KPK Medyk Konin (6-0, 3-0), avant de rosser les Espagnoles de l’Atlético Madrid (3-1, 6-0) au tour suivant. En quarts de finale, elles n’ont eu besoin que du match aller pour écœurer leurs adversaires tchèques du SK Slavia Prague (9-1, 0-0). Et puis, il y eut donc cette demi-finale aller contre le PSG (7-0). Pour un bilan provisoire étourdissant : sept matchs européens joués, six victoires, un nul, 34 buts inscrits pour un seul encaissé. Mis à part une ou deux équipes, Lyon n’a pas d’adversaire à sa hauteur, même au niveau continental. Encore moins en France, où seul le PSG tente de s’accrocher.

« Lyon fait une saison exceptionnelle, ce qui fait que l’écart peut paraître très impressionnant, mais je crois que le niveau de jeu monte dans tous les pays, nuance Brigitte Henriques. Après je pense qu’on veut un peu brûler les étapes. On aimerait bien que tous les clubs, en plus de l’OL et du PSG, aient un niveau exceptionnel alors qu’il n’y a que 42 joueuses professionnelles sur 250, en France. Il faut laisser le temps au temps, c’est ce que notre Fédération s’est engagée à faire. »

L’annonce par la FFF, en février, du franchissement du cap des 100 000 licenciées en France - désormais « 104 000 », selon Brigitte Henriques -, apparaît comme une bonne nouvelle. Il y a seize ans, elles étaient environ trois fois moins nombreuses à taper dans un ballon. Or c’est entre autres en puisant dans une base de licenciées de plus en plus importante que l’élite peut espérer se densifier et réduire les écarts entre « grosses » et « petites » écuries.

Pour ce qui est du suspense et d’une rencontre à l’issue vraiment incertaine, les Lyonnaises et leurs supporteurs devront attendre la finale. Le nom de leur futur adversaire est déjà connu : en battant sévèrement (4-0) le FFC Francfort lors du match aller, Wolfsburg, certes défait au retour (1-0), a validé son ticket pour l’Italie, où se déroulera le dernier match de la Ligue des champions. Les joueuses de l’OL devraient atteindre ce stade de la compétition pour la cinquième fois en 7 ans (2 succès) et tenteront de prendre leur revanche sur Wolfsburg, contre qui elles avaient perdu en 2014. Le match contre le PSG, ce soir, constituera un bon entraînement. Pas de raison de faire la fine bouche.