Les réseaux sociaux se sont échauffés. Les partis politiques de droite et de gauche ont exprimé leur « dégoût ». Les journalistes se sont divisés. Les associations de victimes et de gardes civils ont critiqué un discours « vomitif » et « immoral »… Diffusée dimanche 17 avril sur La Sexta, la première interview télévisée d’Arnaldo Otegi depuis sa sortie de prison le 1er mars n’a laissé personne indifférent en Espagne.

Arnaldo Otegi le 5 mars, lors d'une fête célébrant sa libération à Saint-Sébastien. L'ex-dirigeant de Batasuna a été libéré le 1er mars après six ans de détention. | Javier Etxezarreta/EPA/EFE/MAXPPP

Durant une heure, le journaliste Jordi Evole, connu pour son ton incisif, va confronter l’ex-dirigeant de Batasuna, la vitrine politique du groupe séparatiste basque ETA, à son passé d’etarra. Il lui rappelle les attentats les plus sanglants du groupe terroriste et la douleur toujours vivace des proches des victimes.

En face, Arnaldo Otegi, qui a dirigé l’organisation de 1998 à 2003, reconnaît avoir été « troublé » et se sentir « en partie ­responsable » de ces crimes. Mais il explique aussi les « raisons » de l’ETA, racontant son virage « stratégique » en faveur de l’abandon de la violence. Il profite surtout du micro qui lui est tendu pour demander la sortie de prison des condamnés et le retour des exilés. Dès les premières minutes, quand il raconte qu’il a fallu que sa mère décède, alors qu’il était en prison, pour comprendre la douleur des victimes de l’ETA, le malaise s’installe chez les téléspectateurs.

Les plaies du terrorisme encore ouvertes

Donner la parole à Arnaldo Otegi, condamné à six ans d’emprisonnement pour avoir voulu refonder Batasuna, était un défi en Espagne, où les plaies du terrorisme ne sont pas ­refermées. Accusé de financer l’ETA et de justifier les attentats, le parti d’Otegi avait été interdit en 2003.

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Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont critiqué la décision « d’interviewer un terroriste », de le « laisser légitimer ses crimes ». D’autres ont rappelé qu’Arnaldo Otegi, 57 ans, a parié en faveur d’un processus de paix dès le début des années 2000 et travaillé pour inciter l’ETA à abandonner les armes…

Cinq ans après la déclaration de la « fin ­définitive de la violence » par l’ETA, les ­fantômes des victimes hantent toujours le pays. Le retour des héritiers de Batasuna dans les institutions sous le nom Sortu en 2011 a été accueilli avec animosité. Ceux qui ont souffert de la terreur craignent que l’oubli l’emporte. Et certains redoutent de voir s’imposer le récit véhiculé par la gauche abertzale.

Selon ces indépendantistes proches de l’ETA, le Pays basque aurait vécu un « conflit », dont les responsables sont autant le groupe séparatiste armé que l’Etat. Une lutte ayant fait des victimes dans les deux « camps ». Les associations ont peur que ce genre de discours n’ouvre la voie à une réhabilitation historique de l’ETA, en particulier auprès des jeunes qui n’ont pas vécu les tirs dans la nuque, les voitures piégées, la peur et les morts.

Pas de condamnation claire des attentats

Devant les caméras, l’ancien membre d’ETA sous Franco, condamné dans les années 1980 pour enlèvement, joue les équilibristes entre son pari actuel pour la paix et sa fidélité à son passé d’etarra. Mais il est des mots qu’on ne dit pas. Des susceptibilités qu’il vaut mieux ne pas chatouiller.

Arnaldo Otegi (au centre) et plusieurs centaines de militants basques indépendantistes ont réclamé, le 17 avril 2016, à Bilbao, l'amnestie pour tous les prisonniers de l'ETA. | Alvaro Barrientos / AP

Quand Jordi Evole constate qu’il n’a jamais condamné les attentats de l’ETA, ses quarante ans de violence et ses 829 morts, Arnaldo Otegi s’irrite, expliquant que le mot « condamner » est tabou, qu’il peut signifier que l’on « baisse son pantalon ». « Comment peut-on me demander aujourd’hui de condamner quelque chose que je n’ai pas condamné quand ça s’est produit ? J’ai payé pour ne pas l’avoir fait. En quoi cela contribue-t-il à l’actuelle situation de paix ? », s’agace-t-il.

Selon lui, ce n’est pas la pression policière et judiciaire intense, l’arrestation successive des dirigeants du groupe armé, l’interdiction de Batasuna et la lutte contre les réseaux de soutien dans la société qui ont permis la fin d’ETA, mais bien le pari de la gauche abertzale pour la fin de la violence. Un virage qui, reconnaît-il, est arrivé « tard », sans toutefois accepter de préciser quand il aurait dû être pris. Et s’il assure que « jamais la violence d’ETA ne reviendra », il met en même temps en garde le journaliste lorsqu’il lui demande s’il n’a pas la sensation « que l’ETA n’a servi à rien », n’est parvenu à aucun de ses objectifs politiques mais a causé beaucoup de souffrance : « Ne cherchons pas à remuer certaines blessures, car les conséquences peuvent être graves. »

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