Carole Couvert, la présidente de la CFE-CGC, le 17 avril 2013 à Saint-Malo (Ile-et-Vilaine). | FRANK PERRY / AFP

Très critique sur le projet de loi « travail », la CFE-CGC a organisé, mardi 3 mai, un rassemblement, sur l’esplanade des Invalides, à quelques dizaines de mètres de celui qui s’est tenu à l’initiative des syndicats dits « contestataires » (CGT, FO, FSU, Solidaires) et des mouvements de jeunesse (UNEF, UNL, FIDL). Au moins un millier de personnes y ont pris part, selon sa présidente, Carole Couvert, « ce qui est énorme pour une organisation qui n’a pas la manifestation dans son ADN ». Elle livre les raisons pour lesquelles elle et ses troupes continuent de se mobiliser contre le texte, à la différence des deux autres centrales « réformistes » (CFDT, CFTC).

A quand remonte la dernière participation de la CFE-CGC à une manifestation nationale ?

C’était au moment de la réforme des retraites, en 2010. Pour que nous passions à l’acte, il faut quelque chose de particulier, ce qui était le cas aujourd’hui. L’ensemble de nos fédérations étaient représentées dans ce rassemblement, aujourd’hui, avec des personnes venues de toute la France, en train, en bus.

Qu’attendiez-vous de ce rassemblement ?

C’est le point d’orgue d’une opération de pédagogie qui dure depuis plusieurs semaines. Nos unions départementales sont allées à la rencontre des députés pour expliquer en quoi le projet de loi, porté par Myriam El Khomri, ne nous convient pas, en l’état. Aux élus de la représentation nationale, nous disons : « Entendez nos revendications, faites bouger le projet, redonnez des sécurités aux salariés. » Qu’ils n’oublient pas que nos militants et nos adhérents sont aussi des électeurs. En 2017, il y a aura des législatives. D’ici là, nous rendrons publics les amendements déposés par chaque député et la manière dont les élus à l’Assemblée ont voté durant l’examen du texte.

Par rapport aux syndicats réformistes, vous avez une position singulière puisque, contrairement à eux, vous protestez contre le texte. Pourquoi ?

Il faut sortir d’une lecture binaire du paysage syndical, avec les organisations contestataires d’un côté et les réformistes de l’autre. La CFE-CGC, depuis trois ans, essaie d’incarner un syndicalisme réformiste militant. Nous proposons des compromis dans l’intérêt des entreprises et des salariés. Si nous ne sommes pas entendus, nous avons la capacité de dire non, de protester et de manifester. Nous l’avons déjà démontré sur le pacte de responsabilité. A contrario, nous avons prouvé notre sens de responsabilités en signant l’accord sur les retraites complémentaires, en octobre 2015. C’est le signe d’une organisation libre, indépendante, qui cherche à faire en sorte que les salariés de l’encadrement ne soient pas la variable d’ajustement. Nous ne demandons pas le retrait du texte mais souhaitons que les lignes bougent. Nous faisons le pari du débat parlementaire car nous respectons le travail des députés.

Qu’est-ce qui vous pose problème dans le projet de loi El Khomri ?

Ce n’est pas en facilitant les licenciements économiques, comme le fait ce texte, que l’on va inverser la courbe du chômage. Ni avec des accords « offensifs », que les employeurs pourront mettre en place pour conquérir de nouveaux marchés, quitte à se séparer de leurs salariés qui n’acceptent pas ces accords. Le référendum d’entreprise est un non-sens car il détricote la démocratie représentative. S’agissant de la hiérarchie des normes, nous sommes attachés à l’accord de branche car lui seul garantit une équité de traitement entre salariés d’un même secteur mais aussi entre les TPE et les grands groupes. Nous voudrions que notre modèle de dialogue social évolue en s’inspirant de l’exemple allemand, qui se caractérise par la confiance entre employeurs et salariés et par la capacité de parler des difficultés mais aussi du retour à bonne fortune et du partage de la valeur ajoutée.

Le rapporteur du projet de loi, Christophe Sirugue, souhaite introduire par amendement une sorte de comité de surveillance dans chaque branche qui contrôlerait les accords d’entreprises. Une telle disposition répond-elle à vos inquiétudes ?

C’est une évolution par rapport à la version du texte issue des travaux en commission des affaires sociales de l’Assemblée mais cela ne va pas suffisamment loin.

Mme El Khomri conteste l’idée selon laquelle son texte faciliterait les licenciements économiques. Qu’en pensez-vous ?

Ça fait partie des échanges que nous avons eus avec elle. Elle nous a assuré que le projet de loi ne faisait que transposer la jurisprudence. Mais pour nous, le gouvernement va bien au-delà. Par exemple, en prévoyant que les difficultés économiques d’un groupe international seront appréhendées au niveau du territoire français [N.D.L.R. : et non plus sur tous les sites implantés dans le monde et évoluant dans le même secteur]. Mme El Khomri affirme que le juge aura de nouveaux pouvoirs pour vérifier que l’entreprise n’a pas organisé artificiellement ses difficultés. Certes. Mais lorsque le juge est saisi, le licenciement est prononcé. Autrement dit, il est trop tard.