L'Université Paris-VIII à Saint-Denis.

A l’entrée du campus de l’université Paris-VIII à Saint-Denis, un graphe fraîchement peint à la bombe sur un mur accueille le visiteur: « calme comme la tempête… ». En ce vendredi 1er avril, au lendemain de la grande manifestation contre la « loi travail » où l’université a été représentée en force, la fac est tranquille. Le blocage est levé. Dans la moderne et lumineuse Bibliothèque universitaire, étudiants et personnels s’affairent comme à l’accoutumée.

Depuis trois semaines, Paris-VIII vit, à sa manière, au rythme de l’opposition à la « loi précarité », comme l’appellent certains étudiants. Direction et enseignants-chercheurs ont choisi d’accompagner le mouvement, et de ne pas pénaliser les étudiants qui s’y engagent. Une partie de la fac vit aussi à l’heure de l’occupation « active, militante et créative », comme on dit en AG. Des départements comme la philosophie ou sciences politiques ont voté la suspension des cours et adopté un « emploi du temps alternatif », conciliant préparation du mouvement avec la tenue de nouvelles formes de cours-débats. Ainsi, le blocage de l’université s’est jusqu’ici limité aux jours de manifestations nationales.

Récemment, l’atmosphère s’est un peu tendue. Des murs et des salles ont notamment été tagués. « Que ce mouvement soit l’occasion de débattre ou soit un sujet d’études et d’apprentissage est naturel. Nous ne souhaitons pas de fermeture qui mène à l’affrontement. Mais nous devons aussi persuader certains étudiants que les blocages tels qu’il y en a eu lors de la troisième semaine de mobilisation, s’ils se prolongeaient, risqueraient de pénaliser les élèves les plus fragiles : ceux de première année, qui sont les plus exposés à un abandon de leurs études dans ces circonstances. Et [nous devons] regretter des débordements », dit Danielle Tartakowsky, présidente de Paris-VIII.

Maintenir sa ligne

L’université tente donc de maintenir sa ligne : se mobiliser sans arrêter d’apprendre. Dans le bâtiment B, en salles 134 ou 135 dites « libérées », se tiennent les « ateliers alternatifs » ouverts à tous les étudiants. Pierre Jacquemain, ex-conseiller de Myriam El Khomri, est venu le 23 mars pour un débat très suivi. Le 30 mars, c’est Caroline De Haas, initiatrice de la pétition en ligne contre la loi travail, qui devait participer à l’atelier « Comment se mobiliser ? », qui a été finalement reporté en raison du blocage. Mais les thématiques des ateliers sont larges : « Rapports de pouvoir à l’université et précarité », « Déchéance de nationalité », « Travail et coopération internationale », « Revenu universel »… Très actifs aussi, les étudiants en cinéma ont organisé un cycle de projection de films politiques et de débats.

Jean-Raphaël Bourge, enseignant-chercheur en science politique et spécialiste des études de genre, salue « l’intelligence qui se déploie et une vraie attention aux questions de discriminations ». « Les étudiants se collent un travail énorme pour préparer les ateliers alternatifs, ils nous envoient leurs textes et ils viennent vers nous pour avoir des ressources et se faire conseiller », témoigne-t-il, en précisant que le travail du département – suivi des élèves, de leurs travaux de recherches ou de leurs dossiers de candidatures de master – est assuré.

Vendredi 1er avril, l’atelier « Retour sur des propos polémiques : racisme anti-blanc, hétérophobie, androphobie » a dû être reporté, l’AG du jour traînant en longueur. Ce n’est que partie remise pour Léa, Imène, Thomas et Farah, les étudiants qui l’ont préparé : « Nous avons choisi les thèmes sur lesquels nous sommes chacun les plus à l’aise, et liés à notre expérience vécue. Nous nous sommes ensuite appuyés sur les travaux des chercheurs », expliquent-ils. « L’idée de ces ateliers c’est de garder au moins la moitié du temps pour le débat. Tout le monde peut nous interrompre. On n’est pas obligés de prendre de notes. Il y a une introduction par un intervenant mais on casse la hiérarchie prof-élève : nous sommes toutes et tous des apprenants », précisent ces jeunes, très enthousiastes sur leur université.

« Fac déserte »

Dans l’amphi D001, plein à craquer vendredi après-midi, plusieurs centaines d’étudiants en AG ont aussi débattu des formes de mobilisation. Un jeune homme a regretté « une fac déserte mercredi et pas une fac libérée et démocratique ». Une intervention très applaudie. Après plus de trois heures d’échanges, l’AG a fini par voter l’occupation d’un bâtiment dédié à la mobilisation, et la poursuite de la grève active, militante et artistique à la sauce Paris – VIII.

« Pour le moment, le semestre n’est pas perdu, mais j’ai demandé à tous les directeurs d’UFR de me proposer des modalités de validation qui permettent de tenir compte des événements survenus sans entacher la qualité des diplômes », précise Mme Tartakowsky. La gestion d’une « université libérée » n’est pas si facile.