Un produit "Viandes de France" dans un supermarché parisien, en août 2015. | Kenzo Tribouillard/AFP

« Adieu la viande ! Je t’aimais bien mais là, c’est plus possible. » Jean Muller, 40 ans, saute le pas. Après la diffusion, fin mars, par l’association L214, d’une nouvelle vidéo révélant des actes de cruauté dans un abattoir, cet habitant de Colmar a décidé de devenir végétarien. « Je ne consommais déjà que rarement de la viande, quand je pouvais contrôler sa provenance, explique-t-il en réponse à un appel à témoignages du Monde. Mais là, si même les établissements certifiés bio ne respectent pas les bêtes, je ne peux plus. Ça demande trop de reniement de principes. »

Un déclic, un électrochoc. La « goutte d’eau de trop ». Des images qui forcent à « ouvrir les yeux » et à « faire le lien entre le steak et l’animal », à refuser « d’être complice ». Comme Jean, ils sont un certain nombre à avoir transformé leur indignation en passage à l’acte après les révélations de L214. Depuis plusieurs années, cette association diffuse des vidéos témoignant d’actes de cruauté dans des abattoirs ou des élevages. Il y avait eu les oiseaux gavés, les canetons broyés pour produire du foie gras, les animaux maltraités dans des abattoirs du Gard, puis dans un établissement certifié bio et Label rouge de Soule, au Pays basque.

« J’ai chialé comme un môme »

Des images qui ont provoqué, chez Nathanel Lacroix, une « prise de conscience » : « J’avais toujours pensé devenir végétarien un jour, mais étant bon vivant, je reportais le moment. Je me suis forcé à regarder les vidéos des maltraitances dans les abattoirs. A 41 ans et n’ayant pas vraiment vécu dans un doux cocon, j’ai malgré tout chialé comme un môme devant mon écran. » Gwen Hervieu, monteuse parisienne de 48 ans, a elle cessé de manger de la viande « du jour au lendemain, après avoir vu les cinq premières secondes du premier film de L214 ». Elle avait déjà supprimé le foie gras de son alimentation il y a dix ans, les burgers des fast-foods il y a trois ans.

A Tournan-en-Brie (Seine-et-Marne), Jennifer Roger-Bellanger, assistante maternelle, a franchi le cap il y a dix-huit mois, elle aussi après avoir vu des vidéos diffusées par L214. Avec son mari et ses enfants, âgés de 2 et 12 ans, ils ont « petit à petit changé leurs habitudes » jusqu’à supprimer tout produit d’origine animal de leurs assiettes. « Nous avons redécouvert les saveurs végétales, les épices, les odeurs, les couleurs des légumes de toutes sortes, le parfum des fruits du marché, le nourrissant des noix, des amandes… Nous sommes très heureux de notre changement de mode de vie et même notre médecin nous soutient », assure-t-elle.

« Je favorise la qualité à la quantité en m’octroyant une bonne viande de temps à autre. Mais je l’apprécie de moins en moins maintenant que je sais quelle réalité il y a derrière. »

Tous ne vont pas tirer un trait définitif sur la viande après avoir vu ces vidéos. Mais ces révélations de L214 viennent nourrir une réflexion, souvent entamée depuis plusieurs années, sur les habitudes alimentaires. « J’avais déjà beaucoup limité ma consommation de viande du fait de l’élevage intensif, raconte Agnès, une Parisienne de 40 ans. Je favorise la qualité à la quantité en m’octroyant une bonne viande de temps à autre. Mais je l’apprécie de moins en moins maintenant que je sais quelle réalité il y a derrière. » Pour cette enseignante, dont le père était boucher, la prochaine étape serait de « ne plus en manger du tout ».

Dans notre appel à témoignages, beaucoup d’internautes disent avoir réduit, parfois « drastiquement », leur consommation de viande, pour des raisons éthiques mais aussi environnementales. Ils ne mangent plus de viande rouge qu’une ou deux fois par semaine, multiplient les repas sans viande. Même « sans revenus très élevés », comme Claire par exemple, 37 ans et cadre de la fonction publique, ils essaient d’acheter des produits locaux, de saison, de petits producteurs.

De plus en plus de gens privilégient les circuits courts, le boucher du coin ou le commerçant du village, avec lesquels ils peuvent échanger, et n’achètent plus de viande en grande surface. Dans l’attente de « trouver le courage de devenir vraiment végétarien », Patrice Sambat, agent commercial de 65 ans à Camplong, n’achète plus qu’à un producteur bio « qui accompagne ses animaux deux par deux à l’abattoir », et se prépare à devenir éleveur-abatteur.

Ne pas abandonner les petits éleveurs

Des déclarations confirmées par les chiffres : après avoir atteint un pic en 1998, la consommation de viande diminue depuis une quinzaine d’années. Chaque Français a mangé en moyenne 86 kilos en équivalent carcasse (kgec) par personne en 2014, contre 94 kgec en 1998. Si les catégories les plus aisées mangent traditionnellement moins de viandes, cette baisse s’est étendue à l’ensemble de la population. Les données sur le végétarisme sont, elles, lacunaires : selon un sondage de 2012, seuls 3 % des Français sont végétariens. La tendance serait toutefois à la hausse, notamment chez les urbains diplômés.

Face à ces cas de maltraitance dans des abattoirs, n’y a-t-il donc d’autre choix que le végétarisme ou le véganisme ? N’est-il pas « naturel » de manger de la viande ? Un lion dans la savane ne prodigue-t-il pas de plus grandes souffrances à ses proies, s’interroge Jean Gammatti à Paris ? Et ne prive-t-on pas les agriculteurs d’un soutien précieux en cessant d’être carnivore ?

François Ripoll, lui, ne changera rien. « Il ne faut pas mettre les hommes et les animaux sur le même plan », affirme-t-il. Face à des pratiques « regrettables », il attend une réponse « claire et ferme » de l’abattoir et des autorités : enquête interne, sanctions, consignes précises au personnel. Pour Agnès Suillerot, une Parisienne, le végétarisme n’est pas non plus la solution. « En France, des petits paysans avancent une réflexion sur l’abattage à la ferme, explique-t-elle. Il y a beaucoup à changer dans ce domaine mais ce n’est pas en abandonnant les petits éleveurs à leur sort en devenant végétalien qu’on réduira la production industrielle de viande et de fromage. »

Pascale Lenglart, 56 ans, chargée de mission à Bordeaux, appelle à une réforme juridique du statut des animaux. Celui « d’êtres vivants doués de sensibilité », qui leur a été reconnu début 2015, est insuffisant, estime-t-elle. Pour Evelyne Jolly, qui vit non loin d’un abattoir où elle voit les bêtes défiler à un rythme « impressionnant », la seule solution serait d’installer des caméras de surveillance dans les abattoirs, une piste étudiée par les autorités. Caroline Calvet, guide touristique bordelaise, recommande, elle, de mettre sur les paquets de viande les mêmes images que sur les paquets de cigarettes.

« Le pouvoir est aussi dans l’assiette », rappelle Martial Mouqueron, 45 ans, depuis Lœuilly. Végétarien depuis douze ans, ces révélations l’ont encore conforté dans son choix.

4 min pour comprendre le vrai poids de la viande sur l'environnement
Durée : 04:21