Les erreurs médicales constituent la troisième cause de décès aux Etats-Unis, derrière les maladies cardiovasculaires et les cancers. C’est le constat auquel parviennent deux médecins américains, Martin Makary et Michael Daniel, tous deux du service de chirurgie de l’université Johns Hopkins à Baltimore (Maryland). Pour cela, ils ont effectué un calcul très simple, en appliquant aux données d’hospitalisation dans leur pays en 2013, soit un peu plus de 35 millions d’admissions, le pourcentage d’événements mortels évitables dans des études antérieures, remontant parfois jusqu’à la période 2000-2002. Ils en concluent que les erreurs médicales provoquent 251 000 morts par an.

Publié mercredi 4 mai dans le British Medical Journal, l’article des docteurs Makary et Daniel n’a pas l’ampleur d’une vaste étude. Il tient sur deux pages, enrichies de deux tableaux. Il présente des limites méthodologiques : les quatre grandes études utilisées par les auteurs avaient-elles toutes la même définition très large des erreurs médicales (acte involontaire ou n’obtenant pas les résultats escomptés, erreur d’exécution, erreur de planification, déviation d’une procédure...) ? La situation de 2013 est-elle identique à celle de 2000, ce qui impliquerait qu’aucun progrès n’ait été accompli ?

Combien de cas en France ?

Néanmoins, ce travail a un mérite. Malgré ses approximations, il constitue un plaidoyer pour l’amélioration des données sur le coût humain des erreurs médicales. D’autres travaux avaient placé ces dernières au même rang dans les causes de décès, en extrapolant à partir d’autres études. « Avec 15 millions d’hospitalisations en France en 2013, le nombre de décès pourrait ainsi avoisiner les 50 000, en faisant la troisième cause de mortalité du pays après les cancers et les maladies cardiovasculaires », indiquait le Lien, association de défense des patients victimes d’accidents médicaux, en 2015. Le rapport de 2013 rédigé par Bernard Bégaud et Dominique Costagliola sur la iatrogénie, les conséquences néfastes liées aux soins, citait « des études de pharmacovigilance permettant d’avancer la fourchette de 10 000 à 30 000 pour le nombre de décès attribuables chaque année en France à un accident médicamenteux. »

« Nous demandons depuis des années la publication de telles données », explique-t-on au Lien. « On commence seulement à faire en sorte que les événements indésirables graves liés aux soins soient déclarés », ajoute le Lien. Une déclaration pourtant obligatoire, que les médecins sont peu enclins à respecter.

Les docteurs Makary et Daniel dénoncent un problème commun à beaucoup de pays : les données officielles sur les effets indésirables mortels liés aux soins s’appuient sur la cause initiale de la mort telle qu’elle apparaît sur le certificat de décès. Encore faut-il qu’une erreur médicale soit déclarée en tant que telle. Les statistiques officielles sous-estiment donc grandement le phénomène comme cause de la mort.

La dernière enquête date de 1998

« Comme les soins surviennent, le plus souvent heureusement, sur des personnes malades, la discussion doit tourner autour de questions comme “qu’est-ce qu’une erreur médicale ?”, car il faut se méfier des imputations rétrospectives », affirme Grégoire Rey, qui dirige le Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès (CepiDc, Inserm). « La situation est rarement binaire, ajoute-t-il. A partir de quel niveau d’imputabilité considère-t-on qu’un décès est dû à une erreur médicale ? Combien d’années de vie sont-elles perdues en raison d’une erreur médicale ? »

« L’estimation des décès annuels dus à des erreurs médicales la plus souvent citée – un rapport de 1999 de l’Institut de médecine (IOM) – est limitée et dépassée », écrivent les deux praticiens américains. Ils réclament donc de meilleures données. Cela permettrait de mieux identifier les erreurs médicales, et donc de mieux les prévenir.

En France, « l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a lancé un appel d’offres à la communauté scientifique pour réaliser à partir de septembre 2017 une étude de grande ampleur sur la iatrogénie », indique le professeur Mahmoud Zureik, directeur scientifique de l’ANSM. Malgré des travaux menés entre-temps, la dernière grande enquête datait de 1998.